«Cinquante nuances de Grey». E. L. James revisite sa propre saga, vue par son héros mâle. Ça marche: 100 000 livres vendus le premier jour.
Hier encore, je pensais que pour faire un homme viril il suffisait d’une queue et d’un fouet. Heureusement, E. L. James est arrivée et a donné un cœur, des sentiments et un cerveau à son héros Christian Grey, me remettant illico dans le droit chemin. Trêve de plaisanterie: ce qui pouvait passer au mieux pour une concession lèche-cul à ses lecteurs hommes potentiels, au pire pour un plan commercial d’enfer, est une idée du tonnerre qui fonctionne parfaitement. A croire d’ailleurs que Christian Grey est plus intéressant que sa pouliche faussement soumise.
Grey, quatrième opus de Cinquante nuances de Grey, est le premier tome de la nouvelle série de l’inventrice du mum porn, qui, prétendument sous la pression de ses lecteurs, entreprend de reraconter l’histoire d’amour et de soumission érotique de Christian et Ana du point de vue de Grey. C’est très amusant. Ainsi, la première rencontre, version fille: «En poussant la porte, je trébuche et c’est à quatre pattes que j’atterris dans le bureau de M. Grey. (…) Je suis morte de honte. (…) Je dois rassembler tout mon courage pour lever les yeux. Oh la vache – qu’est-ce qu’il est jeune! (…) Et vraiment très beau. Grand, en costume gris, (…) des cheveux rebelles sombres aux nuances cuivrées, des yeux gris et vifs qui me scrutent d’un air avisé. Je mets un moment à retrouver ma voix.»
En version garçon, cela donne: «Un vacarme à ma porte me pousse à me lever d’un bond: un tourbillon de longs cheveux châtains (…) tombe tête la première dans mon bureau. Je lève les yeux au ciel en réprimant mon agacement (…) mais je me précipite vers la gamine qui a atterri à quatre pattes. (…) Un regarde mortifié rencontre le mien. Je me fige. Ces yeux sont d’une couleur extraordinaire (…). Elle me fixe, bouche bée (…). Ouais, ouais, bébé c’est ma gueule, mais la beauté, c’est superficiel. J’ai envie de faire disparaître ce regard admiratif de ces grands yeux bleus.»
Prenez le premier baiser. En version fille, cela donne: «– Oh, et puis merde pour la paperasse. Il me pousse contre le mur de la cabine, m’agrippe les deux mains et les cloue au-dessus de ma tête tout en m’immobilisant avec ses hanches. (…) Il écrase ses lèvres sur les miennes. (…) Je gémis, livrant passage à sa langue qui en profite pour explorer ma bouche. (…) L’ascenseur s’arrête, les portes s’ouvrent, et il s’écarte de moi en un clin d’œil, me laissant pantelante.»
En version garçon: «– Oh, et puis merde pour la paperasse. (…) Je la pousse contre le mur de la cabine. D’une main, je l’agrippe par les poignets et je lui lève les bras audessus de la tête pour qu’elle ne puisse pas me toucher, puis j’entortille mon autre main dans ses cheveux tandis que mes lèvres cherchent et trouvent les siennes. Elle gémit son chant de sirène dans ma bouche et je la savoure enfin. (…) – Vous êtes adorable… Je murmure ces mots contre ses lèvres, complètement enivré, affolé par son odeur et par son goût… Soudain, l’ascenseur s’arrête et les portes commencent à s’ouvrir.» Etc., etc., etc.
Bonne nouvelle: E. L. James vient d’inventer le dad porn. Lattès, l’éditeur français de Grey, a indiqué en avoir écoulé 100 000 exemplaires le 28 juillet, jour de la sortie du livre. Merci Madame l’écrivaine.
«Grey». De E. L. James. Editions JC Lattès, 560 pages.