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Metin Arditi, le voyage russe

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Jeudi, 29 Août, 2013 - 06:00

L’écrivain de Genève livre avec «La confrérie des moines volants» une magnifique plongée dans l’histoire de l’Eglise russe. Reportage dans les coulisses du roman.

93 rue de Crimée, Paris XIXe. Derrière un portail vert, un passage étroit mène à une oasis de tranquillité au cœur de laquelle se niche un trésor de la vie spirituelle orthodoxe russe en France, l’église Saint-Serge-de-Radonège et son Institut de théologie. Construite dans les années 20 sur les murs d’un temple luthérien lorsque des dizaines de milliers de réfugiés russes arrivent à Paris, Saint-Serge est peinte des murs au plafond en passant par l’escalier d’entrée. Metin Arditi effleure du regard les cierges allumés devant l’icône de Notre-Dame-de-Tikhvine. L’écrivain de Genève connaît bien cet endroit. Depuis plus d’un an, il est ami avec l’un des prêtres de l’église, le père Vladislav, qui lui a ouvert les portes de la communauté russe et de la spiritualité orthodoxe. «Sans lui, reconnaît l’écrivain, La confrérie des moines volants n’aurait pas pris la même direction. J’ai trouvé auprès de lui bien plus que des infos sur la vie orthodoxe à Paris…»

Ce nouveau roman de Metin Arditi, son 9e, La confrérie des moines volants, raconte le destin – fictif – puissant et héroïque de Nikodime, ermite russe qui, en 1937, aidé par une poignée de moines rescapés des massacres menés dans les monastères par le régime soviétique, tente de sauver les trésors de l’art sacré. De sa liaison avec une jeune fille de paysans, Irina, naît un fils, André, qui vit à Paris une vie de menuisier discrète, sans rien révéler de ses origines à son propre fils, Mathias, photographe de mode. A la mort de son père, Mathias découvre le secret de son père, l’histoire de Nikodime et, peut-être, le lieu où le moine avait caché les œuvres d’art rescapées. La Russie lui tend les bras…

Découverte. C’est en janvier 2012, lors d’une tournée de l’Orchestre de la Suisse romande, qu’il préside alors, à Moscou et Saint-Pétersbourg, que Metin Arditi découvre la Russie. Il est «sidéré et bouleversé» par le sort de l’Eglise russe à la révolution. Très vite, il a une histoire en tête, centrée sur la figure de résistant de Nikodime. Commencent quelques mois d’imprégnation russe à haute dose, selon la méthode que l’homme d’affaires et mécène, converti à l’écriture il y a bientôt vingt ans, cultive depuis des années. Pour Le Turquetto, il arpente Istanbul et Venise, devenant un spécialiste de la peinture vénitienne du XVIe siècle. Pour Prince d’orchestre, il étudie la psyché des chefs d’orchestre, le poker, la kabbale. Pour La confrérie, il assiste à l’office du dimanche de la cathédrale Nevsky, rue Daru, imagine Irina arriver enceinte, utilisant l’église comme une boussole dans ce pays inconnu. Il passe des heures avec le photographe de mode parisien Fred Laveugle, assiste à l’un de ses vernissages, qui le rassure: le monde de la photo de mode est bien celui qu’il s’est imaginé pour construire son personnage de Mathias. Sans regret mais avec une pointe de nostalgie, Metin Arditi se souvient qu’il y a une quinzaine d’années, il a acheté un Leica, et hésité longtemps entre l’écriture et la photographie.

Genève. A Genève, il rencontre le chef du chœur de l’église russe, devenu un ami, qui l’aide à comprendre la liturgie de l’Eglise et l’initie aux chansons populaires russes. Deux à trois fois par semaine durant plusieurs mois, il prend des cours de russe avec une professeure de l’université. «La langue est la musique du peuple. On apprend le caractère des gens à travers la langue.» Elle a aimé son «roman russe» – «C’était important qu’elle l’adoube!» Il passe des heures avec la trapéziste d’une école de cirque pour l’un de ses personnages, ancien trapéziste devenu moine et qui apprend à la confrérie fondée par Nikodime comment décrocher des œuvres d’art en hauteur dans les églises.

Tout en écrivant, il effectue quatre voyages en Russie entre janvier et novembre 2012. A Saint-Pétersbourg, il compulse d’anciens numéros de la Pravda, répertorie les églises en fonction en 1937, passe des heures à s’imprégner des icônes au Musée de l’Ermitage. Il fait le pèlerinage de Levashovo, un cimetière-mémorial sur le site du principal charnier soviétique découvert dans une forêt à une vingtaine de kilomètres de Saint-Pétersboug. La visite le bouleverse. Il se met à douter – «Il y avait quelque chose de sacré dans cette histoire, une dimension sacrilège. Je ne me sentais pas le droit de la raconter.» Il change d’avis neuf fois, avant de trouver la réponse en imaginant le personnage contemporain de Mathias et sa découverte du passé de son père. «C’était la figure parfaite de l’innocent. Il en savait au début de l’histoire autant que moi, c’est-à-dire rien.»

Lac Ladoga. Après Levashovo, il s’enfonce en bateau sur le lac Ladoga pour se rendre au monastère Valaam, tout près de la frontière finnoise. Fondé au Xe siècle, abandonné en 1940, Valaam a été rouvert par une poignée de moines en 1989. «Je voulais comprendre ce qui déclenche une vocation. Là-bas, on a l’âme en paix, à cause de la nature, la lumière. Je reste subjugué par cette pratique orthodoxe flamboyante et exigeante, tellement moins douce que la pratique romaine catholique. La pianiste Brigitte Engerer, qui a vécu en Russie, disait que «ce pays carbonise tous ceux qui l’approchent». Tenter de comprendre ce pays a été une expérience prenante. Il me reste de cette plongée la constatation que la condition humaine est extrême, dans le pire et le plus beau.»

Certains Russes côtoyés durant l’aventure du livre s’étonnent que l’on puisse se plonger dans une histoire qui n’est pas la sienne. «Mais la Russie, c’est l’Orient! Je suis un Oriental. Et proche de l’orthodoxie par ma femme grecque et ma fille qui vit à Athènes. Constantinople, où j’ai grandi enfant, était la capitale des chrétiens d’Orient. Mais je suis le premier étonné à avoir ressenti une telle intimité avec ce peuple. Les Russes sont intenses, audacieux, ils ont le sens de la générosité et laissent parler leurs passions. En cela, ils sont proches du Turc que je suis.»

Croire. La confrérie est un roman sur une communauté qui tient suffisamment à ses croyances pour mourir pour elles. Metin Arditi n’est «pas» croyant, mais il sent des «liens charnels» avec les Eglises, quelles qu’elles soient. «Je suis touché en pensant à ces gens qui se sont battus pour leur foi. Et impressionné par le rapport au sacré de l’art russe. On dépose son âme au pied des icônes!» Lorsqu’il a fait sa bar-mitsvah, à 13 ans, il est en internat près de Lausanne et ses parents en Turquie. La préparation de son discours est confiée à sa professeure de français, une protestante vaudoise stricte. Elle lui propose de terminer par le fameux poème Si, de Kipling, qui s’achève par: «Tu seras un homme, mon fils.» «Pour cette ouverture d’esprit et pour cette liberté, j’ai gardé à mes parents et à mademoiselle Meyer, ma professeure, une gratitude infinie. Aujourd’hui encore, le poème m’accompagne.»

Dans son roman, Metin Arditi imagine qu’André lègue à son fils Mathias un petit meuble, un bonheur-du-jour avec une inscription sur le dessus, «Ce que j’ai de plus précieux», et un tiroir secret dans lequel il cache un cahier hérité de Nikodime.

A Genève, l’épouse de l’écrivain, qui travaille dans leur entreprise immobilière, trouve il y a peu un meuble ancien abandonné dans un appartement. Metin Arditi le fait restaurer chez un ébéniste et y fait graver «Ce que j’ai de plus précieux» en marqueterie. Le meuble est désormais dans le bureau de l’écrivain, rue de Candolle. Dans le roman, Mathias trie ses photographies et dépose ses préférées dans le bonheur-du-jour. Rue de Candolle, les tiroirs sont encore vides.

«La confrérie des moines volants». De Metin Arditi. Grasset, 350 p.
Rencontre Payot/Hebdo avec Metin Arditi le 23 septembre, 19 h, Théâtre du Grütli, Genève.


PROFIL

Metin Arditi

Né à Ankara en 1945, éduqué dans un internat lémanique dès l’âge de 7 ans, diplômé de l’EPFL, il fait fortune dans l’immobilier avant de se lancer dans le mécénat et l’écriture en 1997. Président de l’OSR de 2000 à 2013, il a notamment reçu le Prix des auditeurs de la RSR pour La fille des Louganis et le Prix Giono pour Le Turquetto (Actes Sud).

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Emmanuel Fradin
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