Critique. Les Editions Zoé publient une nouvelle édition, en un seul volume, de la mythique «Histoire de la littérature en Suisse romande». Il était temps.
De quatre tomes d’un kilo et demi chacun couvrant le Moyen Age jusqu’à l’année 1998, on est passé à un seul tome de 1728 pages pesant deux petits kilos et allant d’Othon de Grandson jusqu’au décès d’Anne Cuneo, en ce début d’année 2015.
Miracle. Grâce à l’infatigable Roger Francillon, ancien professeur de littérature française à l’Université de Zurich, codirecteur des Œuvres complètes de Ramuz chez Slatkine, déjà maître d’œuvre des volumes de l’Histoire de la littérature en Suisse romande parus entre 1996 et 1999 aux Editions Payot Lausanne Nadir, et à la tenace Caroline Coutau, directrice des Editions Zoé, la littérature romande a de nouveau sa carte de visite.
Un soir de 2013, lors d’une réunion de la Fondation Ramuz, Roger Francillon, Daniel Maggetti et Sylviane Dupuis se retrouvent à déplorer que, depuis la disparition des Editions Payot Lausanne, les volumes soient introuvables. Ils contactent Caroline Coutau, qui accepte de remettre l’ouvrage sur le métier. «Cela ne pouvait mieux tomber, j’avais aussi ce rêve dans un coin de ma tête!»
Un groupe de travail est constitué, composé d’experts comme Daniel Maggetti, directeur du Centre de recherches sur les lettres romandes, Sylviane Dupuis, professeur à Genève, ou Marion Graf, traductrice. Il se réunit tous les deux mois pendant deux ans et recrute des contributeurs parmi la fine fleur des spécialistes en littérature romande, comme Sylvie Jeanneret, Muriel Zeender, Jérôme Meizoz, Isabelle Rüf ou Anne Pitteloud. Au poste stratégique de secrétaire de rédaction, le prometteur Daniel Vuataz succède à Daniel Maggetti.
«Un régal, ces réunions! se souvient Caroline Coutau. Les discussions ont été passionnées, articulées, respectueuses.» «Nous nous sommes retrouvés à quatre générations impliquées dans le même projet, s’enthousiasme Roger Francillon. La preuve que ce projet est rassembleur et tient compte de l’évolution des sensibilités!»
Place aux écrivains récents
La matière des trois premiers volumes, soit jusqu’en 1968, est mise à jour et réorganisée suivant l’état des recherches et du savoir sur les auteurs concernés. Le quatrième volume, couvrant les quatre dernières décennies, est en revanche entièrement remanié et rédigé à neuf, permettant notamment de faire de la place à la centaine d’écrivains romands apparus rien qu’entre 1999 et 2014 et de relire cette histoire récente selon des prismes socioculturels adéquats.
Le résultat est un objet qui réussit parfaitement le pari du grand écart, à la fois objet de référence pour les milieux de la recherche francophone, carte de visite indispensable pour une région de francophonie coincée entre la Berne fédérale alémanique et l’indifférence d’une France parisiano-centriste et objet de lecture et de culture générale d’accès aisé pour tout un chacun.
Quel régal, notamment que les chapitres sur le polar romand par Giuseppe Merrone, l’érotisme indigène signé Francillon lui-même ou les écrivains voyageurs par Anne-Lise Delacrétaz!
Prenant acte de la disparition de la revendication, en tant que telle, d’une identité littéraire romande, le chapitre «Littérature et questions d’identité» du précédent volume 4 a été remplacé par un intelligent «Connexion, filiations et transversalités» signé Sylviane Dupuis.
«Attention, c’est une histoire et non un dictionnaire», avertissent Caroline Coutau et Roger Francillon. «Nous avons fait des choix, défini des angles et ne prétendons pas à l’exhaustivité. Dans quinze ans, il faudra réviser la chose.»
Caroline Coutau réfléchit ainsi, avec la Bibliothèque universitaire de Genève, à la création d’un site web permettant une actualisation régulière autant que des recherches par mots-clés.