Zoom.Publié à l’occasion des 90 ans du musicien, le catalogue de l’exposition consacrée à sa foisonnante (dé)mesure explore, illustrations à l’appui, la trajectoire d’un homme pluriel et ses liens avec les créateurs de son temps.
«Explosante-fixe»: ce fragment de la description de la beauté, selon André Breton, est le titre d’une œuvre qui a occupé Boulez pendant plus de vingt ans. Comme pour toutes ses partitions, le compositeur y est revenu à plusieurs reprises, proposant d’autres paramètres instrumentaux et électroniques, jusqu’à la version pour flûte et orchestre de chambre de 1993. Mais l’association des deux adjectifs caractérise surtout parfaitement la personnalité de ce «maître penseur» à l’assise imperturbable – fixe – et aux activités multiples explosantes, parfois explosives.
A travers les récits et analyses de plusieurs musicologues, musiciens et proches, Boulez apparaît dans toute sa densité de créateur, de prophète musical, défenseur de la musique des autres plus encore que de la sienne, de bâtisseur ou d’initiateur d’institutions durables (Ircam, Ensemble intercontemporain, Cité de la musique…), de pédagogue, notamment au sein de l’Académie du Festival de Lucerne qu’il créait en 2004, et enfin de chef d’orchestre mondialement reconnu du fameux Ring de Wagner, qu’il réalisait à Bayreuth avec le metteur en scène Patrice Chéreau de 1976 à 1980, jusqu’à l’intégrale des symphonies de Mahler, en passant par Bartok et tant d’autres qu’il a dirigés face à de prestigieux orchestres du monde entier.
Mais, plus qu’un catalogue de hauts faits, ce recueil de textes concis et pertinents – à l’image des œuvres de Boulez – place le musicien au carrefour des arts et de la création du XXe siècle. Elève de Messiaen, admirateur de Stravinski et de Honegger, ami de Cage, quoique à son opposé, il se destinait à l’ethnomusicologie quand, au sortir de la guerre, à 21 ans, il se retrouve propulsé directeur de la musique de scène de la Compagnie Jean-Louis Barrault. Ses chocs littéraires (Baudelaire, Kafka) vont dès lors se démultiplier. Et la peinture n’est pas en reste: Mondrian, Klee, Bacon, Dubuffet, Miró, Giacometti.
Un homme intransigeant
Boulez regarde les formes qui expriment le mouvement, la texture, le geste, il se nourrit à la vue de l’imprécision revendiquée qui «réinterroge en permanence» et qui, selon sa formule, «sait créer un ordre et le démolir en même temps». Boulez découvre le théâtre nô, le bunraku – art scénique japonais dans lequel de grandes marionnettes sont manipulées par plusieurs personnes, à vue. Parce que la création n’a pas à s’encombrer d’illusion. Ce n’est que dans le détachement lucide qu’elle garantit à ses destinataires l’indispensable espace de liberté.
Inlassablement, parfois polémique mais toujours en lien avec la société qui l’entoure, en France, en Allemagne ou ailleurs, il affûte son exploration des formes et de ce qu’elles déclenchent. Il réitère son refus de l’art bienveillant, de «vagues principes poétiques, aussi sommaires qu’indigents». Il brocarde les «fétichistes de la tradition, de la nature, du cœur, de la modération, du contact, de la perspective, de l’ordre, de l’histoire, de la sensibilité, de l’originalité» et enfin «de l’écoute». Cette intransigeance est au centre de sa pensée et de ses actions. Elle a nourri ses interprétations autant qu’elle a assuré la pérennité aux institutions qu’il a fondées.
Ce livre sur Boulez, qui fêtait ses 90 ans le 26 mars, raconte une trajectoire exclusivement vouée à l’art. Pas de «je», ni dans sa vie ni dans sa musique. Mais un regard, une pensée et des chemins.
Exposition du 90e anniversaire. Paris, Philharmonie, rue Jean-Jaurès. Jusqu’au 18 juin. www.pierreboulez.philharmoniedeparis.fr