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Festival: mouvement de libération du porno

Jeudi, 26 Février, 2015 - 06:00

Décodage. La troisième Fête du Slip décerne un prix au meilleur film porno alternatif. Mais à quoi ressemble cette bête cinématographique? Etude de cas.

Le porno alternatif – «alt-porn» pour les intimes – s’appelle aussi parfois «slow porn». A juste titre: «Avec mon équipe, je passe beaucoup de temps à préparer le tournage. Il faut trouver des acteurs qui ont envie de coucher ensemble, tenir compte de leurs préférences, adapter le scénario à leurs envies.

C’est un principe de base du porno alternatif: on travaille dans des conditions respectueuses de tous et personne ne fait ce qu’il n’a pas envie de faire.»

Lucie Blush (comme «rougir»), 27 ans, réalisatrice et performeuse, Lyonnaise de Berlin, est une étoile montante de cette «nouvelle pornographie» qui sera à l’honneur de la troisième Fête du Slip du 6 au 8 mars à Lausanne.

Son film Naked, qu’elle vient présenter en personne, est un des six courts métrages en compétition pour le prix du Slip d’Or, l’une des nombreuses manifestations du Festival des Sexualités (lire encadré). Les cinq autres films sélectionnés sont soit réalisés, soit coréalisés par des femmes et ce n’est pas un hasard: ce dont il est question avec l’«alt-porn», c’est en quelque sorte d’un mouvement de libération du film pornographique. Les femmes y jouent un rôle clé.

Attention – Lucie Blush tient à la distinction –, on n’est pas dans le «porno pour femmes»: «Les femmes ne sont pas une sous-espèce avec un goût défini et spécifique, comme veut nous le faire croire l’industrie dominante.» Ce que le mouvement «slow», ou encore «sex-positif» apporte, c’est la diversité, l’émancipation du modèle unique qui a longtemps prévalu: le porno avec des mâles puissants et des salopes soumises, dans des rôles et des corps irréalistes et stéréotypés.

Ce «mauvais porno» qui inhibe les adolescents et ne respecte pas la diversité des sexualités. On l’aura compris: la mouvance «sex-positif» a des ambitions rien moins qu’éthiques. Suivez le raisonnement: la consommation de porno est aujourd’hui une réalité massive; elle concernerait 80% de la population, selon Stéphane Morey, coorganisateur de la Fête du Slip.

Partant, «la meilleure réponse au mauvais porno n’est pas l’absence de porno mais du meilleur porno», comme dit l’Américaine Annie Sprinkle, «mère» du renouveau de la galipette filmée.

Marges et marché

Bon, mais concrètement, à quoi ressemble cette bête cinématographique? Pour se faire une idée de la production très diverse qui a décollé dès les années 2000 sur les ailes de l’internet, le mieux est de se pencher sur les films sélectionnés pour le Slip d’Or.

Voici d’abord Campos de Castilla, film espagnol qui n’a clairement «rien coûté et ne rapportera rien» (Stéphane Morey): tourné à la va-vite et comme pour rire dans un champ de maïs, avec des épis turgescents dans le rôle principal. Représentatif du genre «éco-sexuel», bouture émergente de la mouvance alternative, qui explore le rapport sensuel à la nature. On est dans la frange marginale du porno alternatif.

A l’opposé, voici Do You Find My Feet Suckable? («Trouvez-vous mes pieds suçables?») d’Erika Lust, Suédoise de Barcelone, où un bel étudiant et une jolie étudiante lâchent leurs livres et se lâchent chaudement dans un décor de bibliothèque.

«Erika Lust est la figure la plus médiatisée de la mouvance alternative, celle dont la production est la plus proche du porno traditionnel », précise Stéphane Morey. Sa série Xconfessions, diffusée également en DVD, se nourrit d’une plateforme interactive sur l’internet: dites-moi vos fantasmes, j’en ferai un film.

Bingo! L’ex-étudiante en sciences politiques, féminisme et sexualité à l’Université de Lund touche les zones sensibles d’un nombreux public.

Lucie Blush a elle-même commencé dans le métier avec Erika Lust, rencontrée à Barcelone durant un stage en marketing et graphisme web. La jeune Lyonnaise cherchait un job d’appoint, elle s’est découvert une vocation. «Erika Lust a montré que chacun peut faire du porno à sa manière. Du coup, ça m’a donné envie de trouver la mienne.»

Comment le style de l’élève, qui a lancé en 2013 son site welovegoodporn.com, se distingue-t-il de celui de la maîtresse? «Les films d’Erika sont esthétiques, élégants, très Barcelone. Moi, j’ai un côté plus «quick and dirty» (rapide et sale).

Et je mets beaucoup de moi dans mes films.» L’ardente implication de Lucie a fini par l’amener devant sa propre caméra: dans Naked, en compétition à Lausanne, elle fait ses débuts comme actrice, en nous invitant dans sa chambre à coucher pour son premier rapport homosexuel.

C’est explicite mais, ne lui en déplaise, ni rapide ni sale. Plutôt frais et joyeux, avec des scènes où ça rigole entre filles façon dortoir d’internat. Il faut dire que Lucie, avec ses taches de rousseur et son air narquois, a davantage le physique de la collégienne que de la bombe lubrique.

Avec Crysalis de Gala Vanting, on plonge dans le cérémonial de la douleur érotisée: la dominatrice et pornographe australienne, assise en tailleur au bord d’un lac, se fait «piercer» le dos et livre le spectacle de ses larmes assorti d’un monologue poético-narcissique en voix off.

Une performance très indigeste pour les non-adeptes, tendance body art: plus adaptée à une foire d’art contemporain qu’à un festival érotique? «C’est vrai que les frontières entre les domaines tendent à s’effacer, commente Stéphane Morey. Mais c’est plutôt le BDSM qui est entré au musée! » BDSM, donc, comme bondage, domination, sadomasochisme. Gala Vanting, en adepte convaincue, signe un autre film projeté au festival, Love Hard, documentaire sur des couples/trouples qui explorent la frontière entre douleur et plaisir.

Les hétéros lambda préféreront Impulse Response, du jeune collectif britannique 4 Chambers, une partie de jambes en l’air sans histoire mais avec un style: poétiques effets de contre-jour, musique agréable, montage non linéaire. Et l’impression d’assister à une partie de vrai plaisir.

La plupart des acteurs du porno alternatif ont beau être des professionnels, la plus-value d’authenticité est une marque distinctive du genre.

Cul et culture

Le film le plus trash de la sélection, c’est CrashPad Behind the Scenes, sorte de documentaire où une créature de sexe indéterminé fait l’amour sans grâce à une grosse aux cheveux mal teints.

Un film, commente Stéphane Morey, «atypique, à la limite du manifeste», proposé par une maison de production américaine par ailleurs représentative du volet LGBT de la scène «alt-porn»: «Pink and White Production a commencé il y a dix ans à proposer des films lesbiens, avant de se diversifier. C’était une offre absente du marché, ils ont rapidement connu le succès.»

Tout comme la composante féministe, le volet LGBT est constitutif du porno alternatif. Stéphane Morey, qui est aussi secrétaire général du Bureau culturel vaudois (une bouture du Pour-cent culturel Migros), raconte avoir eu l’idée de son festival en découvrant la communauté queer de Berlin. Avec sa sœur Viviane, prof d’anglais, il soigne toutefois une programmation assez variée pour que gays et hétéros se sentent chez eux à la Fête du Slip.

Laquelle ne se cantonne pas au cinéma, rappelle-t-il: c’est «un festival d’art et de culture» qui célèbre le sexe dans tous ses états. On lui fait remarquer que tous les films de cul, fussent-ils alternatifs, n’atteignent pas des sommets d’intérêt culturel.

«Précisément: il faut développer une culture du porno pour permettre au public des choix éclairés.» Non, vous n’êtes pas condamné à la ringardise si vous n’avez pas le cœur à vous y mettre. Comme dit Lucie, on ne force personne. 

 


La Fête du slip, troisième

Quarante événements et une quarantaine d’artistes suisses et internationaux sont au menu de la troisième édition du Festival des Sexualités lausannois. Son quartier général: le Théâtre de l’Arsenic, un choix qui dit à lui tout seul l’effacement des frontières entre productions spécialisées et arts vivants.

Outre la compétition de films pornos, il y aura, notamment, de la danse, avec la compagnie française A contre poil du sens, des rencontres autour du thème des métiers du sexe, de la musique avec Petra Flurr, icône berlinoise queer, un cabaret littéraire, un débat sur le porno éthique.

Et aussi une «ligne du slip», numéro de téléphone rose actif durant toute la durée de la manifestation.

Soirée «Préliminaires» au Romandie le 27 février, puis du 6 au 8 mars à l’Arsenic, au Bourg, au City Pully, à la Galerie Humus, au Théâtre Sévelin 36.
www.lafeteduslip.ch

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