Critique. Le légendaire auteur américain donne avec «Un membre permanent de la famille» un recueil de textes épatants dont les veuves et les chiens sont les héros.
Isabelle Falconnier
Il y a trois chiens dans cet épatant recueil de douze nouvelles signé d’un des écrivains américains vivants majeurs, Russell Banks. Le plus important est bien entendu ce Membre permanent de la famille qui donne son titre au volume: Sarge, femelle caniche bâtarde à moitié aveugle, fait l’objet des disputes d’un couple en train de divorcer avant d’être écrasée par mégarde par le père de famille devant ses filles éplorées qui, du coup, retournent vivre chez leur mère. C’est la nouvelle «la plus autobiographique» de l’auteur, avoue-t-il, même s’il refuse de dire si l’un de ses deux chiens adorés, Kili, décédé en 2013 et dédicataire du livre, a connu le même sort tragique que son héros de papier… «Lorsqu’on a un chien, on projette souvent nos émotions sur lui…»
En 2012, Banks sort épuisé de l’écriture de trois romans à la suite, dont Lointain souvenir de la peau. Pour se reposer, il enchaîne les nouvelles et écrit l’entier du recueil en moins d’un an, ce qui leur donne une belle unité de ton et d’univers.
On y croise de vieux couples en quête d’un second souffle, des ex-maris malheureux et dangereux, un veuf qui braque un supermarché au risque de se faire arrêter par ses fils policiers, un artiste méconnu qui reçoit enfin une bourse mais se voit jalouser par son entourage. Acérées, impitoyables, subtiles, ces nouvelles donnent une époustouflante leçon d’écriture tout en explorant toutes les facettes de la solitude – familiale, conjugale, artistique – contemporaine.
Solitaires volontaires
Né en 1940 dans le Massachusetts, élevé par un père ouvrier alcoolique qui déserte le foyer lorsqu’il a 12 ans, étudiant puis écrivain engagé dans les mouvements gauchistes, président du Parlement international des écrivains entre 1998 et 2004, fondateur de Cities of Refuge North America, qui établit des lieux d’asile pour des écrivains menacés, il vit la moitié de l’année près de New York et l’autre à Miami. Il est devenu l’un de ces snow birds, ces retraités cherchant le soleil en hiver dont il se moque gentiment dans la nouvelle intitulée justement Oiseaux des neiges. On y voit une veuve renaître joyeusement sous le soleil de la Floride. «Mes personnages sont des solitaires volontaires. On peut aimer la solitude.»