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Littérature: défense et illustration d’Honoré de Balzac

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Jeudi, 22 Janvier, 2015 - 05:59

Honoré de Balzac habitait un univers gigantesque, merveilleux, magique; il a décrit et disséqué toute l’espèce humaine avant quiconque, analyse Charles Poncet. Pourtant, ce prodigieux écrivain, un géant, est injustement relégué à la seconde place et négligé à tort par des profs.

L’enseignement traditionnel de la littérature française (à l’époque où on l’enseignait vraiment) s’ancrait sur les classiques, puis Voltaire et Rousseau, le roman ne triomphant vraiment qu’avec Flaubert, Victor Hugo, quelques autres et enfin Proust en apogée. A qui se lassait un peu de la perfection mécanique de Madame Bovary, tenait les descriptions de Salammbô pour suant l’effort ou les hypothétiques copulations d’Odette avec le baron de Charlus pour sans grand intérêt somme toute, on conseillait non sans condescendance Zola, son naturalisme «de gauche», sa classe ouvrière et ses gueules noires.

Honoré de Balzac végétait quant à lui dans une sorte de purgatoire, hanté par Alexandre Dumas, Jules Verne et compagnie. Ne pouvant nier son très grand talent, on lui refusait le génie – il est vrai qu’avec Stendhal, Hugo et Flaubert, il y avait du monde au parterre… – et on lui reprochait un style bourru ou des «inventaires de notaire» – la minutieuse description de la maison Vauquer en orée du Père Goriot – ou on trouvait du «verbiage» et de la «familiarité» dans ses dialogues, tel La maison Nucingen, où quatre joyeux drilles devisent après un repas bien arrosé sans prendre garde à l’oreille indiscrète qui les écoute.

André Maurois lui consacra une biographie avant 1968. Avec une pointe de romantisme, il y affirme que Balzac n’inventait pas ses personnages: il vivait avec eux et de temps en temps, dit Maurois, il les invitait pour notre bonheur dans le roman ou la nouvelle qu’il terminait au galop afin de toucher le cachet qui éviterait la saisie de son mobilier et tiendrait les huissiers à distance.

Maurois a raison! Balzac est un prodigieux écrivain, un géant injustement relégué à la seconde place et négligé à tort par des profs qu’irrite la société de Bonaparte ou de Louis-Philippe qu’il décrit si parfaitement: ces ballots lui préfèrent sans doute Robbe-Grillet ou Nathalie Sarraute. Balzac habitait un univers gigantesque, merveilleux, magique; il a décrit et disséqué toute l’espèce humaine avant quiconque: Eugène de Rastignac apostrophant la ville de Paris – «à nous deux maintenant!» – relègue au vestiaire les pâles arrivistes de Wall Street; Goriot va voir passer en calèche ses filles pour qui il se saigne à blanc et qui l’ignorent; Séchard paye noblement les traites du vil Lucien de Rubempré; César Birotteau, parfumeur bourgeois qui fait fortune avant de sombrer; Gobseck, l’abject usurier que personne ne brossera jamais mieux; Vautrin, truand reconverti en chef de la police quelque part en Italie; Hyacinthe Chabert, héros laissé pour mort à la bataille d’Eylau, revenu à Paris pour s’y voir rejeter par la gourgandine qu’il avait sortie du ruisseau, devenue comtesse Ferraud entre-temps! Les personnages de Balzac éclatent d’authenticité, ils prennent le lecteur aux tripes et ne le lâchent plus.

Ecrivain «bourru»? Allons donc! L’Henriette de Mortsauf du Lys dans la vallée, mourant d’amour pour Félix de Vandenesse, vaut toutes les madames Bovary de la terre! L’œuvre est d’une incomparable finesse, c’est le plus beau roman d’amour de la littérature française et même les romans «mineurs» – Les Chouans, par exemple, que Balzac regardait comme un péché de jeunesse – regorgent d’une écriture cristalline dans la subtilité des sentiments du «Gars» – alias le marquis de Montauran – et de Marie de Verneuil, suivant à pied une calèche alourdie et devisant de façon apparemment anodine au début de la passion qui les emportera. Balzac a même inventé Médecins sans frontières à sa façon: l’admirable docteur Benassis du Médecin de campagne se dévouerait aujourd’hui en Erythrée ou au Liberia! Les notaires Mathias et Solonay, barguignant âprement, chacun pour son client dans Le contrat de mariage, laisseront pantois tout juriste qui a vécu une négociation complexe et délicate impliquant beaucoup d’argent, tant ils sont criants de vérité: la mine triste, le propos dissimulé, la courtoisie hypocrite, la parole donnée pour déguiser la pensée, tout y est!

L’intégrale de la Comédie humaine est disponible chez Garnier, en poche et même sur un Kindle pour quelques francs. Il n’y a aucune excuse à ne pas la lire, au moins en partie. Un conseil toutefois: acquérez aussi le Dictionnaire des personnages*, car dans cet univers inexhaustible, où les protagonistes viennent et reviennent, mieux vaut un guide à qui ne veut point risquer de s’y perdre!

* Anatole Cerfberr et Jules Christophe


Profil
Charles Poncet

Avocat, docteur en droit, diplômé de l’Université de Georgetown (Washington DC), l’ancien député au Grand Conseil genevois et ancien conseiller national est aussi l’auteur de nombreuses publications.


Sur www.hebdo.ch retrouvez les chroniques de Charles Poncet dans son blog L’avocat du Diable

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