Le cinéaste vaudois a fêté à Locarno son grand retour au cinéma avec l’émouvant documentaire «Tableau noir».
Merci Yves Yersin! Au sortir de la projection du documentaire Tableau noir, qui marque le grand retour sur l’écran large du Vaudois, trente-trois ans après ses inoubliables Petites fugues, on a simplement envie de lui dire à quel point ce film émouvant et admirablement maîtrisé est un cadeau. Le cinéaste accepte volontiers le compliment, mais insiste d’emblée sur un point: «Il y a une légende qui plane, et qui raconte que je n’ai fait que Les petites fugues. Or j’ai réalisé 23 films…»
Ces trente dernières années, Yves Yersin a en effet développé plusieurs projets, dont certains n’ont malheureusement pas abouti, réalisé des essais cinématographiques et un film de commande. De même qu’un documentaire tourné au Burkina Faso mais jamais monté, faute de financement. Reste cette vérité: Tableau noir, l’un des deux films suisses en compétition au Festival de Locarno, est son premier long métrage à sortir en salle depuis Les petites fugues. Les spectateurs romands pourront le découvrir le 20 novembre.
Finalement, même s’il juge pénible d’être souvent perçu comme l’homme d’un seul film, Yves Yersin convient que cette idée lui a, dans le même temps, ouvert bien des portes. La notoriété de ce titre qui figure au panthéon du cinéma suisse est aussi un atout. «Mais je n’y suis finalement pour rien, sourit-il. Le film est simplement tombé à un moment précis de l’histoire où les gens avaient besoin d’entendre cette histoire, qui parle des acquis de 68.»
L’idée de Tableau noir, qui raconte une année de vie scolaire dans la petite école de Derrière-Pertuis, nichée sur les hauteurs du Val-de-Ruz neuchâtelois, lui a été soufflée par un ami journaliste. Il se rend alors en mars 2005 dans cet établissement d’un autre temps, perdu au milieu d’un pâturage, et en tombe immédiatement amoureux. Mais l’enseignant qui depuis près de quatre décennies est l’âme du lieu lui annonce son désir de tourner la page. Ce sont ses filles qui le convaincront de rester un peu plus longtemps, afin de garder une trace du travail accompli. En août 2006, Yves Yersin s’immerge pour dix mois à Derrière-Pertuis, dans cette région que ses habitants appellent simplement «la Montagne».
Deux caméras. Héritée du cinéma direct, la démarche du cinéaste est simple. A l’aide de deux caméras qui lui permettent de capter simultanément le champ et le contrechamp, la parole de l’enseignant et la réaction de l’élève par exemple, il enregistre le réel, sans aucune intervention. Pas de perche dans la salle de classe, afin que les enfants, qui ont entre 6 et 12 ans puisqu’on est là dans une classe dite à degrés multiples, ne sachent pas qui est filmé. A l’extérieur, une preneuse de son entend tout ce qui se passe dans un rayon de 150 mètres. Lorsque Yves Yersin est en classe mais qu’une bagarre éclate dans le préau, elle peut lui dire de sortir.
Tableau noir, et c’est là sa force, n’a été conçu ni comme le portrait d’un maître d’école, ni comme une étude sociologique sur le comportement des élèves. Mais le film fait réfléchir. Sur le rôle de l’école, cet endroit où les enfants apprennent à lire et à écrire, mais se frottent aussi au vivre ensemble. Sur le rôle des enseignants aussi. «Je voulais montrer ce que font les enfants à l’école, dans ce lieu fermé auquel les parents n’ont pas accès», résume de son côté Yves Yersin.
Dans sa seconde partie, le film se fait plus tendu, plus dramatique: l’école est menacée de fermeture, les habitants de la commune de Dombresson devront voter. Faut-il la maintenir ou non? Yves Yersin a suivi le développement de «l’affaire», comme il l’appelle, mais a préféré la reléguer au second plan, n’en faire qu’«un nuage noir planant au-dessus de l’école». Son issue, abondamment relayée par les médias, est malheureusement connue: la Montagne devra finalement dire adieu à son professeur.
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