Rencontre. Tuân Nguyen s’est déjà fait un nom aux Etats-Unis et au Japon grâce à ses illustrations. Il vient de publier son premier «art book» intitulé «Memory Lane».
Séverine Géroudet
Les mains dans les poches, le sourire en coin: la dégaine nonchalante de Tuân Nguyen cache mal la passion qui l’anime. Né à Genève, d’origine vietnamienne, le jeune illustrateur de 30 ans, qui a acquis une jolie renommée aux Etats-Unis et au Japon, griffonne depuis tout petit. Influencé par les dessins animés, les films d’arts martiaux que regarde son père et les jeux vidéo, il développe très tôt une attirance pour l’univers asiatique ainsi que le dessin de style manga. C’est dans cet art peu répandu en Suisse qu’il se démarque et publie aujourd’hui son premier recueil d’illustrations, Memory Lane.
Jusqu’à la fin de sa scolarité, Tuân Nguyen dessine pour le plaisir. Au gymnase, il crée sa première bande dessinée qui met en scène ses amis. «Puis, à l’université, j’ai abandonné le dessin durant plusieurs années et me suis plongé dans ma deuxième passion: le rap. Je tenais un blog dans lequel j’écrivais des chroniques sur des albums et des artistes et dans lequel on pouvait voir certains de mes anciens dessins.» Il se fait alors repérer par un rappeur américain, Killa Sha, qui lui demande de dessiner pour lui un visuel promotionnel. «C’est ainsi que tout a commencé, que je me suis fait connaître dans le réseau des rappeurs américains.»
Son propre style
Tuân Nguyen, qui utilise alors le pseudo de HollaBack, est ensuite sollicité par d’autres grands noms du rap US, dont Soopafly, rappeur et producteur qui collabore notamment avec Dr. Dre et Snoop Dog. «Je me suis alors réellement replongé dans le dessin puis j’ai défini mon style entre le manga et l’urbain. Je me suis mis à dessiner des pochettes d’albums pour des artistes dont j’étais fan depuis mon enfance. Et ce sont des amis aujourd’hui!»
Après des études en sciences politiques et un master en sciences de la communication, le jeune homme s’envole pour le Japon, où il développe de nouvelles collaborations avec des artistes locaux. Le dessin devient alors son activité première. A Genève, il collabore avec le beatmaker (compositeur de musique urbaine) ChromatikS. Il conçoit une minibande dessinée pour le livret de son deuxième album. «Tuân est très créatif et extrêmement doué, raconte ChromatikS. J’ai fait appel à lui car il possède un style de dessin proche de l’univers des mangas, que l’on retrouve chez peu de dessinateurs à Genève, voire en Suisse.»
Il y a un an, Tuân Nguyen réalise qu’il dessine depuis de nombreuses années pour les autres, mais qu’il n’a jamais réalisé un projet personnel. Il décide alors de créer un art book réunissant tous ses dessins. Pour éditer son recueil Memory Lane, il récolte plus de 8000 dollars via une campagne de crowdfunding. «Le thème de la mémoire est omniprésent dans ce livre. D’une part parce qu’il retrace mon parcours et mon évolution à travers mes dessins et, d’autre part, parce qu’il est dédié à la mémoire de ma mère, décédée d’un cancer en 2011. Une partie des bénéfices de la vente est d’ailleurs reversée à la Ligue genevoise contre le cancer.»
Ses quatre passions
Même s’il trouve extrêmement difficile de percer dans le monde du dessin en Suisse, Tuân Nguyen parvient cependant à vivre de son art. Il travaille chez Inova Entertainment, une entreprise genevoise qui élabore des jeux vidéo pour smartphones, collabore avec le studio d’animation Pleine Pomme et continue de réaliser des pochettes d’albums dans le milieu du rap. Il a également créé sa marque, Air Force Tuan, à travers laquelle il vend des produits dérivés de ses dessins, tels que t-shirts, tasses ou encore coques pour smartphones. «Je suis parvenu à allier mes quatre passions: le dessin, le rap, l’animation et les jeux vidéo.»
