Vie urbaine. A 65 ans, le photographe Hans Eijkelboom et ses images de rue bénéficient enfin d’une reconnaissance internationale. Retour sur un maniaque aimable qui attrape ses proies d’Amsterdam à Lausanne.
Le titre du dernier livre du Néerlandais Hans Eijkelboom,«Hommes du XXIe siècle», fait référence au fameux projet du photographe allemand August Sander. Entre-deux-guerres, celui-ci s’est lancé dans le projet inouï de documenter toute la société allemande de son temps, portrait après portrait de profession, âge ou milieu social. Cette démarche documentaire, sérielle, anthropologique, a inspiré nombre d’artistes contemporains, dont Hans Eijkelboom.
Né en 1949, ce Hollandais sympathique s’intéresse aux apparences, à l’identité, au narcissisme, à la prétendue dissolution de l’individu dans la mode et le consumérisme. Il est un précurseur des actuels sartorialistes-diaristes de la mode, des dresseurs compulsifs de listes, des typologistes du quotidien ou encore des encyclopédistes maniacofarceurs des Editions Riverboom à Vevey et leurs livres Versus the World.
Eijkelboom-Riverboom, même combat explosif.
S’il est connu dans son pays, s’il a exposé son travail à New York ou à la Biennale de São Paulo, l’artiste d’Amsterdam ne bénéficie d’une reconnaissance internationale que sur le tard. La preuve, il signera le 13 novembre son dernier livre au magasin Colette de Paris, temple de la création chic et tendance, qui expose également ses images jusqu’à la fin du mois.
Des numéros et des villes
Cet été aux Rencontres d’Arles, Hans Eijkelboom montrait plusieurs séries anciennes qui en disent long sur sa méthode. Dont de merveilleux autoportraits réalisés dans le salon de parfaits étrangers. Dans les années 70, Hans Eijkelboom sonnait à une porte dans l’après-midi, alors que le père de famille était au travail. Il convainquait l’épouse et ses enfants de poser avec lui, comme si c’était lui l’homme du foyer. Ou la fois où il s’est retrouvé dix jours de suite à la une d’un journal batave. Il avait au préalable suivi le photographe du quotidien sur les lieux d’une manifestation ou d’un fait divers, avant de se mêler aux badauds pour être dans le cadre de l’image d’actualité.
Hans Eijkelboom était également exposé au récent Festival Images de Vevey. Le grand écran de la gare CFF montrait en boucle ses Cities & Numbers. Soit les photos de citadins, surpris dans la rue, qui portent des tee-shirts avec des numéros, l’artiste arrangeant ensuite ses images par ordre croissant, un enfant avec un tee-shirt frappé du 1, ensuite un adulte avec le numéro 2, etc.
En visite en Suisse au début de l’été pour préparer le Festival Images, Hans Eijkelboom, c’est plus fort que lui, en a profité pour s’installer pendant trois jours ensoleillés dans les rues piétonnes de Lausanne. Où il a photographié toutes les personnes qui portaient des tee-shirts avec un visage imprimé sur le tissu. La série, Faces in the Crowd, a été publiée dans un petit ouvrage par le Festival Images.
Et, toujours à Vevey, le Musée suisse de l’appareil photographique montre le projet Portraits and Cameras, 60 diptyques qui comprennent chacun un portrait et une publicité. Le premier montre Hans Eijkelboom à une année précise, entre 1949 et 2009, l’autre est une réclame pour un modèle d’appareil photo sorti cette année-là. La série se transforme ainsi en intrigante histoire de la photographie selon les techniques et les modes d’une époque. Elle oppose aussi la durée linéaire d’un individu à celle, constamment brisée et renouvelée, d’un produit de grande consommation. Elle rend enfin hommage au moyen d’expression privilégié par l’artiste depuis plus de quarante ans, dans un musée qui sert le même propos.
Grand peuple, petit pays
Car la méthode Eijkelboom est plus dense qu’il n’y paraît. Rayon références, elle s’inscrit dans les œuvres à fortes contraintes préalables, du type Oulipo-Queneau, mais aussi dans la tradition de la street photography. Bien plus que des documents anecdotiques sur l’évolution des modes, ses notes visuelles questionnent l’être humain comme produit de la société. Son propos, à la source, est existentiel. Et à la différence d’un Martin Parr, il n’y a aucun cynisme dans son regard. Hans Eijkelboom aime les gens qu’il photographie par centaines de milliers.
Il a beau faire du monde sa propre rue, l’artiste est on ne peut plus Hollandais. Pour l’éditeur et commissaire d’expositions Erik Kessels, un Hollandais est quelqu’un de très grand dans un pays très petit, très peuplé, très ordré, où chacun se débrouille, faute d’horizon large, pour se fabriquer de nouveaux points de vue. Pour zoomer de manière obsessionnelle sur le moindre détail dans le but de créer un petit univers personnel.
Selon Hans Eijkelboom, «chacun a les moyens de comprendre ce qui l’entoure». Lui a choisi de se placer dans des lieux à haute fréquentation, son appareil sur le ventre, son déclencheur dans la poche de son manteau ou de son pantalon, prenant ses images au jugé, sans que personne ne le remarque.
Comme le suggère son dernier livre, Hommes du XXIe siècle, somme de 6000 photos de rue assemblées en 500 planches, ses séries répétitives produisent un effet paradoxal.
Les passants sont groupés selon leurs habits ou attitudes, mais au lieu de s’uniformiser, ils n’en apparaissent que plus différents les uns des autres. Tous vêtus pareils, mais tous uniques. Une manière de dire que l’individu, même enfermé dans la machine à délaver de la mondialisation, a toujours le dernier mot.
«Hommes du XXIe siècle», Ed. Phaidon.
«Faces in the Crowd» peut être obtenu au Festival Images: shop@images.ch
«Portraits and Cameras», Musée suisse de l’appareil photographique, Vevey, jusqu’au 1er mars 2015.