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Bashung: l’imprudence des héritiers

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Jeudi, 30 Octobre, 2014 - 05:59

Musique. Universal dévoile les versions inédites des chansons d’Alain Bashung, enregistrées sur le chantier de l’immense album «Fantaisie militaire» (1998). L’exploitation des coulisses de l’œuvre se poursuivra l’an prochain. Et laisse songeur.

Bashung revient post mortem en coffret de luxe de 3 CD, limité à 10 000 exemplaires, comprenant 28 versions inédites des chansons de Fantaisie militaire. L’idée fait grincer, lorsqu’on sait que l’artiste fuyait les opérations commerciales. D’autant que le musicien, disparu en 2009, avait écarté ces versions. Les publier, n’est-ce pas le trahir? «D’un point de vue musicologique, je trouve qu’il est intéressant de voir comment il travaillait, répond Jean Fauque, son parolier fidèle. Il n’aurait pas été contre cette démarche, je crois. Il s’était assoupli avec le temps et ne voyait plus d’un mauvais œil la republication de son travail plus ancien. Personnellement, j’ai eu de belles surprises en découvrant ce coffret.»

Un souffle et de la déception

A la première écoute, c’est l’émotion et «le souffle coupé». Les fans seront émus par ces maquettes de Jean Lamoot et Claude Arini, par ses préproductions signées Richard Mortier, Les Valentins, Rodolphe Burger ou Jean-Marc Ledermann. La voix est là, déjà posée, précise, grave et subtile. Et il y a ce vertigineux Angora irréel, dans lequel on entend trois chansons en devenir (La nuit je mens, Angora et L’irréel). Toutefois, il appert à la réécoute que ces explorations n’arrivent pas à la hauteur du disque final.

Patrick Amine, qui a connu le chanteur de Gaby et lui a consacré plusieurs livres (notamment Alain Bashung - Monsieur rêve encore, chez Denoël), n’est pas convaincu. «J’ai écouté Sommes-nous, en préproduction par Richard Mortier. Musicalement, c’est mécanique. L’arrangement fait courir la voix de Bashung, alors qu’il était plutôt calme, posé. Ce n’est pas la tonalité de Fantaisie militaire.» Le reste, selon lui, est à l’avenant. «Il y a trop de sons, trop de rythmes qui ne coïncident pas au chant, aux textes, à l’intention finale. Dans Samuel Hall, par exemple, les percussions sont très en avant et les sons court-circuitent le parler-chanter de l’auteur.»

Vampire de génie

C’est la façon de travailler de Bashung qui s’éclaire, d’où l’intérêt de cette petite entreprise de muséification. La méthode consistait, pour le chanteur, à se trouver lui-même tout en passant par les autres. «Alain était très exigeant. Il avait une attitude vampirisante, c’est vrai. Seul, il avait peur de s’ennuyer, se souvient Jean Fauque. Il fallait avoir du courage, pour collaborer avec lui. Mais il vous permettait de dépasser vos limites.»

Après avoir élaboré les textes de l’album Fantaisie militaire (l’un des plus sophistiqués de l’histoire de la chanson française), Bashung les avait confiés à plusieurs musiciens, qui travaillaient simultanément. C’était à eux de lui proposer des compositions. Bashung opérait ensuite une synthèse subtile entre elles. Pour chaque chanson, les versions de travail se succédaient.

Le Romand Christophe Calpini, du duo de jazz électronique Mobile in Motion, avait été appelé pour travailler sur six morceaux de L’imprudence (2002), le disque qui a succédé à Fantaisie militaire. Il ne voit pas l’idée de publier ces expérimentations d’un très bon œil. «C’est bizarre. S’il avait choisi de les écarter, pourquoi les sortir aujourd’hui?» Le musicien n’a pas oublié sa collaboration avec le chanteur. «Nous étions libres de composer sur sa voix et les textes qu’il nous avait confiés. C’était à la fois inquiétant et fantastique. Il attendait beaucoup des accidents, des rencontres, pour s’inspirer. Il était très à l’écoute. Lorsque j’ai découvert le résultat final, entièrement retravaillé par lui, j’ai mis un moment à m’en remettre. Je me disais que je ne pourrais jamais rien faire d’aussi bon.»

Poète électro

Les chansons de Bashung aménagent plein de portes d’entrée et de sortie. Même si le sens des textes échappe, l’émotion passe par capillarité. Or, les versions présentées ici, souvent binaires, qui vont du folk au bruitisme, forcent le trait. «Alors qu’au final, dans ce disque, Bashung est très ouvert, jamais dans la démonstration, ni militant, ni appuyé», relève Patrick Amine. C’est la pudeur, les jeux d’esquive d’un artiste qui atteint son but en refusant d’être frontal.

Nicolas Gauthier, directeur artistique chez Universal (il a côtoyé Bashung sur l’album Osez Joséphine), a sélectionné parmi 130 versions dénichées dans les archives de la maison les 28 qui sont aujourd’hui rendues publiques. La pratique est rare en France. Elle est plus courante dans le monde anglosaxon, pour des artistes mythiques comme le Velvet Underground. «Nous l’avions fait dans le cadre d’intégrales, mais pas pour un disque en particulier», explique Nicolas Gauthier. L’an prochain, deux autres coffrets paraîtront, le premier en mars, consacré à Osez Joséphine, justement. Le second en fin d’année, centré sur Bleu pétrole. Cette fois, ce sont des chansons inédites qui seront dévoilées. «Bashung avait écarté une vingtaine de titres, qui n’entraient pas dans
l’esprit de Bleu pétrole, le public pourra les découvrir.» (Cette nouvelle collection, Super Deluxe, accueillera d’autres artistes, comme Johnny Hallyday pour l’album Hollywood.)

Après seize ans, on peut profiter de cette ressortie pour faire le point sur l’influence de Bashung. Aucun héritier digne de ce nom à l’horizon, mais des émulations intéressantes. «Il n’a pas de fils spirituels, il était bien trop atypique. Mais Miossec ou Dominique A s’en sont beaucoup inspirés», estime Nicolas Gauthier. Il y a aussi de bonnes surprises, comme le jeune groupe Feu! Chatterton. Bashung irrigue la chanson française de façon souterraine et durable. Jean Fauque est méfiant: «Vous savez, c’est lourd, les héritages. Dire de quelqu’un que c’est un héritier, c’est une façon de le classer.» «Plutôt que des coffrets, il faudrait des hommages vivants, regrette Patrick Amine. Des concerts qui revisiteraient son œuvre. Murat serait partant, Matthieu Chedid aussi.» Surtout, laisser Bashung errer «dehors», et sous aucun prétexte l’enfermer Au pavillon des lauriers.

Fantaisie Militaire «Edition Super Deluxe», 3 CD, tirage limité. Universal.

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Arnault Joubin / Corbis
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