Longtemps, Simone Mohr-Turrettini a prétendu, et même cru, avoir passé une enfance à cavaler dans la jungle de la province de Misiones. Ce n’est même qu’à la veille de son mariage, en 1956 avec le photographe Jean Mohr, qu’elle lui avoue n’avoir jamais vécu en Argentine: son père est rentré à Genève avant sa naissance.
Cette enfance fantasmée, elle l’avait évoquée en 2004 dans le premier chapitre de Souffle du temps – Carnets d’une baroudeuse. Dix ans plus tard, c’est en couple – elle et lui à la plume, lui à la photo – qu’ils s’embarquent pour un périple sur les traces de René Turrettini, cet ancêtre au destin contrarié.
A l’âge de 25 ans, en 1927, il quittait Genève pour s’expatrier en Argentine. Secret espoir: faire fortune dans la culture du maté tout en échappant à l’autorité de son père Edmond, conseiller d’Etat en charge de la Justice et de la Police. Quatre ans plus tard, il revenait, vaincu par la malaria, incapable de se réadapter à son pays d’origine et considéré par l’illustre famille comme un «raté».
Jean et Simone, inlassables et gourmands pigeons voyageurs, ont chacun leur raison d’entreprendre ce pèlerinage. Le beau-fils tisse un parallèle entre le destin de son beau-père et le sien, diplômé en économie ayant préféré les chemins de traverse. La fille vient débusquer quelques secrets de famille et retrouver l’image d’un père jeune et beau peuplant son enfance d’exploits avec des jaguars tout en sirotant un exotique maté dans la campagne genevoise.
De Buenos Aires à Posadas, capitale de la province de Misiones, en passant par Porto Rico, Iguaçu et le Club suisse de Linea Cuchilla, le couple tente de retrouver la propriété de René tout en vivant eux-mêmes les aléas de l’Argentine, Jean se faisant voler deux fois ses appareils photos. Seul souvenir tangible de René: un passage difficile où le Suisse était resté planté avec son camion et qui porte désormais le nom de «trou Turrettini». Un voyage n’est jamais innocent: au cœur de leur quête, et des quelques pages du journal de René qui fait écho à celui de Jean et Simone, le yasiyateré, un oiseau ventriloque qui porte malheur.
«L’oiseau ventiloque».
De Jean Mohr et Simone Mohr-Turrettini. Slatkine, 150 p.