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Parlez-vous dothraki?

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Jeudi, 8 Août, 2013 - 05:59

Aux Etats-Unis, de plus en plus de personnes apprennent le na’vi et le dothraki. Des langues créées pour le film «Avatar» et la série télévisée «Le trône de fer».

Novembre 1970, en pleine guerre du Vietnam: un missile percute l’hélicoptère UH-1 de Henry* Hill, un militaire américain. L’appareil explose, réduit en poussière. Henry Hill survit, avec sept fractures du crâne, et tombe dans le coma. Deux mois plus tard, à son réveil, l’homme souffre d’aphasie, une maladie cérébrale qui l’empêche de transformer sa pensée en paroles. «J’étais incapable de parler, se souvient-il. Je n’arrivais qu’à balbutier quelques mots.»

Aujourd’hui, c’est de l’histoire ancienne. Henry a changé de sexe et s’appelle désormais Sabrina. Et surtout, Sabrina Hill a découvert et appris à parler le na’vi, la langue utilisée par les extraterrestres du film Avatar de James Cameron. «Ce film m’a tant touchée, raconte l’imposante brune aux traits amérindiens. Je parviens enfin à parler avec fluidité.» Un miracle rendu possible par la simplicité de l’idiome créé pour le film. Celui-ci ne comprend que 2000 mots, contre environ 200 000 en français. «Grâce à cette langue, mes symptômes ont diminué», explique-t-elle.

Des milliers d’adeptes. Sabrina Hill fait partie d’une vaste communauté: aux Etats-Unis, de plus en plus de gens apprennent les langues conçues spécialement par Hollywood pour des films. «La sortie d’Avatar a vraiment lancé un mouvement», raconte Paul Frommer, le professeur de linguistique à l’origine du na’vi. La dernière sensation: les langues dothraki et valyrian conçues pour la série Le trône de fer. Quelques milliers d’adeptes de na’vi et de dothraki sont aujourd’hui disséminés à travers les Etats-Unis.

Pour les professionnels mandatés par les studios pour développer ces langues, le plus difficile est de créer un idiome qui corresponde à l’univers des personnages qui la parlent. «Les guerriers dothrakis sont des sauvages, détaille Christine Schreyer, une anthropolinguiste de l’Université de la Colombie-Britannique, qui a conçu le kryptonien, le langage parlé dans Man of Steel, le dernier volet de Superman. Dans leur langue, le mot merci n’existe pas.» Fait intéressant, les gens qui l’apprennent ont eux aussi tendance à être plus agressifs. A l’inverse, «les Na’vis sont des extraterrestres doux et respectueux des animaux, la langue reflète cela, raconte Paul Frommer. Ils viennent aussi d’un monde où les ordinateurs n’existent pas. Il m’a donc fallu inventer un mot qui reflète leur manque de familiarité avec la modernité. J’ai choisi “le cerveau métallique”.»

Mais pourquoi apprendre une langue qui n’est pas utilisée dans le monde réel? Les adeptes de ces idiomes, qui se retrouvent sur Skype ou sur des forums en ligne pour les pratiquer, cherchent un sens de la communauté. «Nous partageons tous une passion pour ces films, dit Sabrina Hill. C’est une manière de se réunir.»

Platon précurseur. Très souvent, ces langues entrent en résonance avec l’expérience de vie de leurs locuteurs. «Les animaux me passionnent, raconte Tim Stoffel, un gardien de zoo texan de 52 ans. Et le na’vi et le dothraki leur accordent beaucoup de place. Le dothraki a même un mot pour dire “lion blanc”.» Sabrina Hill s’est pour sa part reconnue dans un des personnages d’Avatar, Trudy Chacon, une pilote d’hélicoptère aux traits masculins. «Les extraterrestres du film, proches de la nature, font aussi écho à mes racines amérindiennes», précise-t-elle.

Depuis longtemps, les hommes se sont attelés à la création de nouveaux idiomes. Platon serait le premier à s’être penché sur la question. Francis Bacon aurait élaboré un schéma de langue universelle. Au XIXe siècle, Ludwik Zamenhof créa la «langue construite» la plus répandue de tous les temps: l’espéranto. Et J.R.R Tolkien a inventé le quenya, le sindarin et le khuzdul parlés par les elfes et les orques de sa série Le seigneur des anneaux.

Mais aujourd’hui, le phénomène a pris une autre ampleur: il est devenu inimaginable de mettre un film de science-fiction sur le marché sans le doter de sa propre langue inventée. «Plus aucun spectateur ne prendrait au sérieux une production avec des extraterrestres ou une autre créature fantastique parlant en charabia, raconte Christine Schreyer. C’est aussi devenu une excellente manière de renforcer le marketing de ces films, car cela fait parler d’eux.»

* Prénom d’emprunt

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