Est-ce qu’on écrit comme on fait l’amour? Y a-t-il une corrélation entre le style d’un écrivain et sa façon d’être amoureux? Entre le raisonnement d’un philosophe et son appétit au lit? Dans ce cas, Ruwen Ogien serait un amoureux procrastinateur, qui tournerait autour du pot sans jamais se lancer. On attendait plus du directeur de recherche au CNRS, déjà auteur de 22 essais, dont L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine. Son livre avait pourtant un titre aguicheur: Philosopher ou faire l’amour. La photo de la couverture l’était tout autant (une photographie de Paul McCarthy, suggérant un coït entre un lapin et un ours volontiers puérils et malsains). Une bonne idée d’éditeur, mais aucun rapport avec le contenu du livre. En effet, dans cette dissertation scolaire rien de provocateur: l’esprit bande mou.
Qu’est-ce que l’amour? Beaucoup de philosophes se sont achoppés à cette énigme. Une aporie (une question insoluble, pour aller vite), qui paraît aussi impossible à définir que la notion même de temps. Barthes, égratigné au passage par Ogien, l’avait pourtant formulé de manière limpide (et avec style, lui): «L’amour (le discours amoureux): cela même dont le propre est de résister à la science, à toute science, à tout discours de l’unification, de la réduction, de l’interprétation.»
Ogien préfère citer la chanson populaire pour «étayer» ses propos. Il rapproche, par un réflexe branché et cool, saint Paul et les Beatles. Il catalogue les questions sur l’amour, sans y répondre ni faire avancer le débat de façon significative («Peut-on aimer sans raison?», «L’amour est-il au-delà du bien et du mal?», «L’être aimé est-il vraiment irremplaçable?» ou «Est-ce que Roméo aime davantage Juliette ou les pâtes fraîches?») On l’aurait souhaité plus cynique, au moins; il se l’interdit.
A la fin de longs préliminaires, les vraies questions surgissent, quelques pages avant la fin: l’amour pourrait-il être «désacralisé, débarrassé de l’exigence d’éternité» qui nous étouffe? Qu’en est-il du polyamour et des «sexualités négociées»? Inspiré, il critique alors l’amour romantique, qui dévalorise la sexualité, se présente comme unique, irremplaçable, éternel… Il aurait peut-être fallu commencer par là. Alors, Philosopher ou faire l’amour? Ni l’un ni l’autre. Ratiociner, plutôt. C’est le même principe que pour les frites McCain (l’auteur devrait goûter cette référence populaire): ceux qui le font le moins sont ceux qui en parlent le plus.
«Philosopher ou faire l’amour». De Ruwen Ogien. Grasset, 263 p.
