Quantcast
Channel: L'Hebdo - Culture
Viewing all articles
Browse latest Browse all 4553

Courbet contre Courbet

$
0
0
Mercredi, 10 Septembre, 2014 - 06:00

Beaux-arts. Le maître du réalisme du XIXe siècle est célébré tant à Genève qu’à Bâle. Mais de manière inégale. Au Musée Rath, la tentative de réhabilitation de sa dernière période «suisse» est loin d’être convaincante. Son apport décisif à l’art moderne est en revanche bien vu à la Fondation Beyeler.

Sommés de «faire des entrées», contraints de justifier des aides publiques qui se raréfient, les grands musées optent souvent pour des expositions populaires ou provocatrices. Le Musée Rath de Genève réunit ces tendances dans son examen des années suisses de Gustave Courbet. La dernière période du maître d’Ornans est d’habitude considérée comme sa moins digne d’intérêt. L’histoire de l’art a depuis longtemps conclu que le peintre franc-comtois n’avait créé qu’un nombre restreint de chefs-d’œuvre lors de son exil à La Tour-de-Peilz. En lutte avec le gouvernement français, qui lui reprochait son rôle actif dans la Commune de Paris et exigeait de lui réparation, le colosse barbu aurait alors peint à la chaîne. Tout en tombant dans l’alcool, la mélancolie et la maladie, de surcroît secondé par de (mauvais) artistes dans sa production en masse, ouvrant la porte à la diffusion de faux.

Le Musée d’art et d’histoire de Genève, duquel dépend le Musée Rath, vient contrer cette idée reçue avec nombre d’arguments, un travail de recherche poussé (jamais les années suisses de Courbet, entre 1873 et 1877, n’avaient été aussi documentées) et la réalisation d’un catalogue exemplaire. Avec toutefois des partis pris contestables, voire arrogants. Comme le regard dédaigneux sur les historiens qui ont travaillé jusqu’ici sur le pionnier du réalisme pictural, accusés de «bégayer» en colportant la thèse d’un Courbet qui n’était plus que l’ombre de lui-même à la fin de sa vie. Merci pour eux!

Personne ne conteste que le peintre a, malgré ses vicissitudes, réalisé des toiles extraordinaires lorsqu’il résidait à la Villa Bon-Port de La Tour-de-Peilz, près de Vevey. Ils sont dans l’exposition, ces chefs-d’œuvre. A commencer par le stupéfiant Panorama des Alpes, récemment acquis par le musée genevois. Ou son pendant, Le grand panorama des Alpes, du Cleveland Museum of Art. Des vues du Léman, quelques exemples parmi la vingtaine de Château de Chillon (le plus réussi est toutefois resté au Musée Courbet d’Ornans) ou le portrait du père de l’artiste sont également de haute tenue. Même si ces compositions restent en retrait par rapport aux grandes années du peintre, entre 1845 et 1870, la période révolutionnaire de L’enterrement à Ornans, de L’atelier du peintre, des autoportraits ou bien sûr de L’origine du monde.

Tout à leur volonté de réhabiliter la dernière période du peintre, les responsables du Musée d’art et d’histoire ne proposent que le meilleur de sa production tardive. Il ne s’agit hélas que d’une bonne vingtaine d’œuvres au sein de l’exposition, sur un ensemble de septante. Des toiles antérieures, forcément valorisantes, viennent établir une continuité entre les marines et les vues lacustres ou les paysages telluriques du Jura et les montagnes alpestres. Trop d’espace est consacré à la collection de copies de maîtres anciens que possédait Courbet à La Tour-de-Peilz. La pièce propose même un ersatz de Titien issu de la propre collection du Musée d’art et d’histoire, forcément différente de celle de la Villa Bon-Port à l’époque.

Ce biais méthodologique est à l’image de cette exposition péremptoire, qui surestime son propos avec constance et pèche par omission. Aucune trace d’œuvres plus faibles, à part peut-être une vue de Chillon maladroite, ce qui aurait par contraste renforcé l’intérêt des chefs-d’œuvre de la période. Pas de présence des huiles sans saveur peintes en collaboration avec des aides, mais signées du maître, alors que le Musée Courbet d’Ornans ne se prive pas de le faire, pour la juste édification de ses visiteurs. Pas de faux non plus, ni d’attributions incertaines. Ni encore d’analyse en profondeur de la manière tardive du peintre, alors qu’il y aurait beaucoup à dire sur le sujet. Et quelques affirmations contestables, comme de dire que Courbet a inventé le genre de la grandiose «montagne-muraille» qui bloque l’horizon, sans égard pour les peintres romantiques qui ont, avant lui, exploré ce rendu sublime, mais menaçant, de la nature minérale.

Bref, si l’on veut contredire les a priori de l’historiographie, et jeter un pavé dans la mare, autant donner toutes les clés de compréhension aux spectateurs.

Il est certes intéressant de considérer l’œuvre d’un géant de l’art comme Courbet dans sa totalité, en ne négligeant ni le début (lui aussi mésestimé) ni la fin de son parcours. Surtout dans une période où l’histoire de l’art s’intéresse davantage aux ultimes gestes des grands créateurs. Il est aussi pertinent de considérer sa dernière période comme la continuité d’une réflexion amorcée avant l’exil précipité vers la Suisse, alors que Courbet avait les agents du président français Mac Mahon aux trousses. Dans le fond, le Musée d’art et d’histoire a partiellement raison: les ultimes compositions du natif d’Ornans valent mieux que leur mauvaise réputation ne le laisse penser. Comme souvent, la vérité se situe sans doute entre ces deux pôles, celui du mépris longtemps affirmé et celui de la réhabilitation à marche forcée.

Le pionnier de l’art moderne

Il en va autrement du côté de Bâle, à la Fondation Beyeler. Celle-ci planchait de son côté sur sa propre exposition Courbet lorsqu’elle a appris les intentions similaires du Musée d’art et d’histoire. Avec sagesse, les deux institutions se sont entendues pour collaborer à une «Saison Courbet», chacune assumant la promotion de l’autre. Offrant au passage un double point de vue sur l’artiste, l’un des plus importants du XIXe siècle de part et d’autre de la chaîne du Jura. Laquelle compte aussi le Musée Courbet d’Ornans sur son flanc ouest, dans la somptueuse vallée de la Loue.

Musée d’art moderne, la Fondation Beyeler considère l’influence décisive de Gustave Courbet sur la révolution picturale à venir. Sans formation académique, rétif aux règles et thèmes de l’art académique de son temps, forte tête, l’artiste compte parmi les premiers de son rang à avoir placé la seule peinture au centre de son œuvre. Il s’est extrait grâce à son audace de la tradition, quitte à recevoir des coups dont il savait qu’ils assureraient sa publicité, affirmant à voix tonnante sa totale liberté de créateur de formes. Son usage non conformiste de la couleur, de la pâte et de la perspective, sa touche énergique renforcée par l’usage du couteau, du doigt et du chiffon, son rendu des ombres, de la roche et de la neige ont fasciné nombre d’artistes postérieurs, à commencer par Cézanne. Lequel a aussi élevé à l’universel un petit coin de pays (la montagne Sainte-Victoire), comme Courbet l’a accompli avec son Jura de grottes, forêts et plateaux.

Cet apport décisif est élégamment suggéré par l’exposition bâloise, laquelle s’ouvre sur une dizaine d’autoportraits tous plus intenses les uns que les autres. La célébrissime Origine du monde est au rendez-vous, placée comme un ostensoir au fond d’une salle, aimantant les regards avec toujours la même insolence transgressive, près d’un siècle et demi après avoir été peinte. Des vallées enténébrées, des sources qui ne le sont pas moins, des arbres pliants sous la force du vent, la mer jetée en trois tons (un pour le ciel, un pour l’horizon, un pour l’étendue d’eau): la rétrospective des années fastes montre l’étendue de ce qu’a été le réalisme de Courbet. Un idéal pas du tout fasciné par les signes du progrès, mais par le rendu le plus sensible et expressif de la création, à commencer par celle d’un monstre d’orgueil. Et qui sait, avec sa force de démiurge, que la nature profonde de la même création est l’obscurité. Alors que la lumière n’existe que pour souligner «les points saillants», comme le disait le maître.

«Gustave Courbet, les années suisses». Genève, Musée Rath. Jusqu’au 4 janvier 2015. www.ville-geneve.ch
«Gustave Courbet». Riehen, Fondation Beyeler. Jusqu’au 18 janvier 2015. www.fondationbeyeler.ch

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Frédéric Jaulmes Musée Fabre
MatthieuJean-Loup Studio Eureka
BPK / RMN-Grand Palais / Jacques L’Hoir / Jean Popovick Musée Fabre
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Viewing all articles
Browse latest Browse all 4553

Trending Articles