Le droit international dont Christoph Blocher propose de nous affranchir n’est pas un petit appendice juridique conçu pour embêter les Suisses et les soumettre aux caprices de «juges étrangers» – qu’il serait d’ailleurs plus juste de désigner comme «juges internationaux» (mais une telle clarté linguistique écornerait le mythe agité par l’UDC). Le droit international est la meilleure arme dont dispose un petit Etat contre le pouvoir des plus forts, et les individus contre l’arbitraire des tribunaux nationaux. Deux exemples.
En 2018 surgit une différence d’interprétation de l’accord de libre-échange avec la Chine concernant les dispositions sur la contrefaçon. L’affaire, tardivement découverte par nos horlogers, porte sur des centaines de milliers de lots de montres écoulés par un producteur de la province du Hubei imitant habilement les caractéristiques du Swiss Made.
Soucieuse de ne pas alimenter la contestation sociale qui l’agite, la Chine refuse de fermer l’usine et de détruire les stocks. Elle prend des mesures protectionnistes, fermant brutalement son marché aux horlogers helvétiques. Ce climat de tensions gangrène toute l’industrie suisse d’exportation qui a trouvé dans le «plus grand marché du monde» quelques compensations aux immenses pertes générées par la résiliation des accords bilatéraux avec l’Union européenne, survenue en 2017. Nos diplomates s’essaient à la conciliation. En vain. La Suisse porte le cas devant l’organe de règlement des différends de l’OMC. Elle obtient finalement gain de cause au terme d’un bras de fer qui a duré deux ans.
Pour une nation aussi exportatrice que la Suisse, mais dont le poids politique est faible, il est vital de pouvoir s’appuyer sur le droit international pour faire respecter les engagements pris par des mastodontes économiques comme la Chine, les Etats-Unis, l’UE… L’arme n’est pas magique, mais dans les conflits commerciaux qui sont autant de guerres larvées, elle est la seule. Comment s’en servir à l’avenir si la Suisse promeut la primauté de son droit?
Les instances internationales n’assurent pas que la défense des intérêts nationaux, elles constituent l’ultime recours pour les individus. Une héritière s’était vu notifier par le fisc zurichois le paiement d’un impôt successoral et d’une amende pour une soustraction d’impôt commise par son père.
Renseignements pris, la mesure était légale, mais semblait contrevenir à une disposition de la Convention européenne des droits de l’homme qui éteint la responsabilité pénale au décès. En clair, les enfants ne doivent pas payer pour les fautes des parents. Déboutée par le Tribunal fédéral, l’héritière a gagné devant la Cour européenne.
L’UDC retarde d’une guerre. La mondialisation, dont nous sommes un des pays champions, pousse au développement du droit international. Pour régler ses relations avec les autres Etats, la Suisse a conclu quelque 4400 traités bilatéraux. Elle a contracté un millier de traités multilatéraux. L’impératif de sauvegarde de la planète annonce de futurs gros développements du droit international dans le domaine de l’environnement. Il ne s’agit pas de contraindre, mais de viser l’efficacité. Dans un monde interdépendant, il ne sert à rien d’être vertueux tout seul dans son coin.
Instaurer la primauté du droit suisse, c’est renier notre histoire. Deux Suisses ont contribué d’une manière décisive au développement du droit international public: le Neuchâtelois Emer de Vattel au XVIIIe siècle, considéré comme un de ses fondateurs, et Henri Dunant au XIXe siècle, inspirateur du droit humanitaire et des Conventions de Genève.
Le Conseil fédéral ne devrait pas attendre, comme d’habitude, la campagne de votation sur l’initiative promise par l’UDC pour dire à quel point son contenu est une sottise contre-productive. Notre ministre de l’Economie Johann Schneider-Ammann aurait pu développer l’exemple fictif ci-dessus, notre ministre de la Justice Simonetta Sommaruga rappeler l’histoire de l’héritière, contée dans une brochure du DFAE.
Mais, depuis le 9 février, notre gouvernement est plus déstabilisé que son riant selfie de juillet ne le laisse voir. Il affiche des sourires d’agneau, alors qu’il faudrait montrer les dents. Ce sont les anciens qui donnent de la voix: Adolf Ogi, Pascal Couchepin et même Arnold Koller, qui pense que nous sommes dans une situation «pire qu’après le vote du 6 décembre 1992». Les sept, ou plutôt les six (Ueli Maurer n’oserait pas critiquer la main qui l’a nourri), sont prisonniers de l’idée qu’un ministre en exercice ne s’abaisse pas à répondre à l’opposant Blocher. Pourquoi donc cette équipe-là s’interdit-elle toute posture d’autorité?
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