Commentaire. Une nouvelle vague littéraire romande est-elle en train de naître? Qu’est-ce qui rassemble les hommes et les femmes publiant en Suisse romande aujourd’hui? Stéphane Bovon, patron des Editions Hélice Hélas et Castagniééé, écrivain, dessinateur et enseignant, y voit une tendance de fond enthousiasmante.
Stéphane Bovon
Ponctuellement, le monde de la littérature s’enflamme et les poncifs du renouveau surgissent, qui seront les grands auteurs de demain, y a-t-il un trend?
Trend est le mot contemporain pour parler de mouvement ou moment ou école ou paradigme, comme il y a eu le siècle élisabéthain, le romantisme, dada.
Au niveau microcosmique (les vers s’agitent comme les fauves, Darwin savait voir ça et admirait les vers, sans vers, pas de bonnes salades), y a-t-il un trend en Romandie?
Mais avant de parler de trend, anglicisme affreux, un petit flash-back.
Se poser la question d’une écriture qui ait pu être propre à la Suisse francophone. Parce que si ce n’est pas le cas, si dans la matière et la manière, il n’y a jamais eu quelque coefficient de typicité romande, à des époques où la région comptait, quand les monts et les vallées homogénéisaient, alors autant passer à la question suivante.
Or, de fait, pour faire très court, on trouve des particularismes chez les terriens montagnards comme Ramuz ou Chappaz. Le XXe siècle romand a vu se constituer une société d’écrivains et de lecteurs autonomes très active mais aussi très locale. Au sein de cette société culturellement autocratique, il y a eu des codes, des sujets terroir et une façon d’écrire. Quand on s’éloignait de ces codes, on risquait de n’être pas reconnu ou de devenir Français comme Cendrars.
Ramuz est mort et c’est le XXIe siècle. Y a-t-il un trend littéraire en Romandie?
La réponse est bof.
Le monde se mondialise, la postmodernité a fini par forcer le blocus culturel conservateur helvète et on entend depuis pas mal de temps des voix dissonantes, Pierre Yves Lador, Jean-Yves Dubath, Marie-Jeanne Urech, Antonio Albanese, Philippe Testa, c’est frais, décloisonnant et décomplexé, les frontières de l’imaginaire sont allègrement franchies.
Alors on fait quoi avec ça? On dit qu’il y a une «école», un «mouvement», on parle de la «Renaissance genevoise» avec Florian Eglin et Emmanuel Pinget?
Le «Nouveau Romand»?
Le problème, comme dirait Marx, c’est l’infrastructure. Dans notre univers virtuel, pressé et schizophrénique, l’état de l’écrivain, comme celui du brave citoyen, c’est de rouler pour sa pomme; hyperactif, sur-stimulé et connecté au monde de Wellington à Tegucigalpa, l’écrivain romand fait comme les autres, il écrit des (bons) livres que le lecteur ne prend plus le temps d’ingérer. En ce sens, est-il différent de l’écrivain français? Non. L’écrivain contemporain produit, explore, est tantôt génial, tantôt se répète et tout ça se noie dans la purée hypermoderne.
Ce qui paraît certain, c’est que les auteurs romands sont aussi forts que les autres. Les Suisses en général ont toujours produit des artistes brillants dans tous les domaines; pour faire mentir Orson Welles et ce con de Yann Moix, on dira que la Suisse est meilleure que les «grandes» nations de la culture; c’est une question de proportion, il y a soixante fois moins de Romands que de Français, la France a-t-elle soixante Nicolas Bouvier? Même pas un. C’est inexprimable empiriquement mais il est possible que, par rapport à leurs collègues français, les nouveaux écrivains suisses, sans complexes jacobins, écrivent plus librement, se foutent de la hiérarchie, soient plus légers, profonds et aient plus d’humour.
Il n’y a pas de trend, d’écriture romande spécifique mais les écrivains romands existent et il faut déplacer le combat ailleurs. Faire bloc et peut-être même du marketing. Se vendre à Paris, puisque c’est le centre du monde, comme les Belges ont su le faire. Montrer qu’il y a le feu au lac.
Stéphane Bovon
Auteur, illustrateur, enseignant et éditeur né à Château-d’Œx en 1970, il a parcouru le monde avant de fonder à Vevey les Editions Castagniééé en 2001 et Hélice Hélas en 2012. Publiant Jean-Luc Fornelli, Pierre Yves Lador, Alain Freudiger, Jon Ferguson ou Rodolphe Petit, il multiplie les vernissages décalés et les performances littérairo-musicales. Ecrivain, il publie le deuxième tome du cycle «Gérimont» chez Olivier Morattel.