Critique. Près de trente ans après «Rendez-vous», qu’il avait coscénarisé pour André Téchiné, Olivier Assayas offre de nouveau à Juliette Binoche le rôle d’une comédienne pétrie de doutes.
Olivier Assayas aime les films miroirs, les films qui se parlent à distance, avec cette idée très auteuriste qu’un cinéaste ne fait dans le fond que bâtir, titre après titre, un grand œuvre analysable autour de quelques grands dénominateurs communs. Il y a deux ans, il s’intéressait dans Après mai à la génération de l’après-Mai 68. Une façon de se confronter une nouvelle fois, vingt ans après L’eau froide et en en reprenant certains personnages, à sa propre jeunesse.
Avec Sils Maria, le Français se confronte cette année à un film sorti en 1985, l’année même où il quittait la rédaction des Cahiers du Cinéma: Rendez-vous, dont il a coécrit le scénario avec son réalisateur, André Téchiné. Dans Sils Maria comme dans Rendez-vous, Juliette Binoche incarne une comédienne se lançant dans un ambitieux projet théâtral. «Ce qui m’intéressait ici, c’était de reprendre un des thèmes de Rendez-vous, de me servir du cinéma en tant que souvenir», commente Assayas, qui a présenté ce quinzième long métrage sur la Piazza Grande locarnaise après l’avoir dévoilé il y a trois mois en compétition officielle à Cannes. «Quand j’ai construit le personnage de Maria, je l’ai fait à partir de quelque chose qui avait une résonance en moi, et dont je savais que cela aurait également une résonance en Juliette, parce qu’on a les mêmes repères. Juliette savait que, au fond, un des personnages dont on parle dans Sils Maria, Sigrid, est en réalité la Nina de Rendez-vous. Elle pouvait dès lors se servir des souvenirs de ce rôle.»
Derrière Sils Maria, il y a d’abord le désir de Juliette Binoche de retravailler une fois encore avec Assayas, qui l’avait dirigée en 2008 dans L’heure d’été. «La singularité de l’histoire commune qu’on peut avoir, Juliette et moi, fait que quelque chose attendait finalement d’être formulé depuis Rendez-vous, qui est le film qui a fait connaître Juliette, tandis qu’il s’agissait de mon premier scénario tourné, et que son succès a facilité la réalisation de mon premier long métrage.»
Maria, incarnée avec un joli mélange de sérieux et de désinvolture par une Juliette Binoche que l’on n’avait pas connue aussi à l’aise dans un rôle depuis longtemps, a naguère interprété Sigrid, une jeune femme vampirisant Helena, de vingt ans son aînée, jusqu’à la pousser au suicide. Lorsqu’un metteur en scène ambitieux lui propose de reprendre sur les planches le rôle d’Helena, dont elle a aujourd’hui l’âge, elle hésite, se montre perplexe face à la perspective de l’interpréter en se rappelant la Sigrid qu’elle a été.
Au centre du film, le temps qui passe. Que reste-t-il de notre jeunesse, est-on à 40 ans ce qu’on craignait de devenir lorsqu’on en avait 20?, demande entre les lignes Assayas qui, tout en ancrant son film dans une seule temporalité – le présent –, parle du passé et du futur de Maria. «Qu’est-ce qu’on fait avec le temps, ce temps qui s’inscrit en nous, qui nous transforme? Comment est-ce qu’on l’apprivoise? Voilà ce qui m’intéressait», explique le cinéaste, heureux de voir ces questions posées à travers «une actrice en pleine maturité, et qui a encore mille choses passionnantes à faire».
Les sommets grisons
Assayas parle du temps qui passe, mais aussi, et c’est là que son film se révèle presque le plus intéressant, de la célébrité. Il a choisi de tourner en anglais et de donner à Maria une assistante américaine, Valentine, jouée par Kristen Stewart avec la froide nonchalance qu’on lui connaît. Le duo fonctionne à merveille, d’autant plus qu’on ne peut véritablement oublier les actrices, Juliette Binoche, son oscar et sa carrière internationale, Kristen Twilight Stewart et son statut de superstar auprès du public adolescent. Les comédiennes sont utilisées pour leur jeu, mais aussi pour l’image qu’elles renvoient.
«J’ai toujours beaucoup admiré Kristen Stewart, à la fois pour ce que je la voyais faire et pour ce que j’imaginais qu’elle pouvait faire, raconte le réalisateur. Elle a une profondeur, une intériorité, il y a en elle une sorte de violence qui déborde littéralement de ses films. J’ai toujours eu le sentiment que, si j’avais la chance de travailler un jour avec elle, je pourrais l’emmener sur des terrains neufs.» Autre personnage à part entière de Sils Maria, les montagnes grisonnes qui, elles aussi, par leur présence majestueuse et millénaire, disent quelque chose sur le temps et la célébrité.
Derrière son apparente légèreté, sa tension psychologique et ses saillies comiques, Sils Maria est un film d’une grande profondeur. Et, une fois de plus, Assayas se distingue par la qualité de ses personnages féminins. Il sourit: «Ce que je vais dire est d’une terrible généralité, mais le statut de la femme est une question passionnante. Sa liberté d’action change le monde au jour le jour.»
«Sils Maria». D’Olivier Assayas. Avec Juliette Binoche et Kristen Stewart. France/Suisse/Allemagne, 2 h 03.