Quantcast
Channel: L'Hebdo - Culture
Viewing all articles
Browse latest Browse all 4553

Tourisme de préhistoire: changer d’ère

$
0
0
Jeudi, 7 Août, 2014 - 06:00

Musées. L’intérêt croissant pour les origines de la vie et de l’homme suscite la création de projets d’ampleur dans le Jura, la région Rhône-Alpes ou la Dordogne. Des traces de dinosaures aux répliques de grottes ornées, c’est toute une nouvelle économie touristique qui se met en place.

C’est l’une des expositions à succès de l’été. Selon un sondage récent, elle recueille 99% d’appréciations positives auprès des visiteurs de tous âges et provenances. Organisée autour des objets exceptionnels trouvés au glacier du Schnidejoch (Oberland bernois) pendant l’été caniculaire de 2003, l’exposition Les lacustres – Au bord de l’eau et à travers les Alpes du Musée historique de Berne propose également des activités en plein air, comme la construction d’une maison lacustre ou le travail du fer.

L’attrait de cette plongée interactive dans le Néolithique et l’Age du bronze tient pour une bonne part au soin amené à la réalisation de l’exposition. Il dénote aussi un intérêt croissant pour la préhistoire, période peu connue, guère enseignée à l’école, encore dominée par ses spectaculaires mais caricaturales représentations sur grand écran, de Jurassic Park à la Guerre du feu.

Projets étonnants

Si la découverte des ères qui ont précédé la nôtre suscite de la curiosité, pourquoi ne pas capter cet intérêt par de nouvelles mises en valeur de traces paléontologiques ou d’art pariétal? Avec l’avantage d’attirer plusieurs catégories de publics et de touristes, comme les familles, les amateurs de science, de culture, de nature, de développement durable, de quête des origines. Tout se passe comme si nous assistions à l’invention d’un nouveau type de tourisme avec l’ouverture, dans les prochaines années, de projets étonnants en Suisse et en France.

Le canton du Jura est déjà bien doté en animations préhistoriques. Comme les grottes de Réclère et leur Préhisto-Parc, qui attirent 40 000 visiteurs par année. La découverte, il y a une bonne décennie, de nombreuses traces de dinosaures lors de la construction de l’autoroute a eu un retentissement mondial. Et permis l’ouverture de plusieurs sites, ou «satellites», comme le sentier didactique «Sur les traces des géants», à Courtedoux. Ou les fouilles du Banné, qui permettent à chacun de se prendre pour un paléontologue et de récolter des fossiles. Ou encore la Dinotec de Porrentruy, qui met en scène une centaine d’empreintes de grands reptiles dans la cour de l’école professionnelle technique. Dès la rentrée, la visite pourra être effectuée en réalité augmentée grâce à une tablette, faisant notamment apparaître à l’écran des dinosaures grandeur nature.

L’ambition du Jura de faire coïncider son nom avec la renommée de la période jurassique – merci Steven Spielberg – ne s’arrête pas là. 2018 sera l’année de la rétrocession au Jura, par la Confédération, des témoignages paléontologiques mis au jour lors de la construction de la Transjurane. Ces collections de fossiles sont actuellement dispersées dans le canton et souffrent, pour certaines, de mauvaises conditions de conservation. Un nouveau muséum devrait les accueillir en 2018 à Porrentruy à côté de l’actuel Musée jurassien des sciences naturelles, dont les propres fonds enrichiront le futur centre de conservation. Piloté par la Fondation Jules Thurmann, du nom d’un fameux géologue du XIXe siècle, le projet Jurassica sera, l’an prochain, l’objet d’un concours international d’architecture. Son budget sera de 33 millions de francs, assumé pour un tiers par des fonds publics et pour deux tiers par de l’argent privé. Jurassica sera aussi un musée interactif, un centre de compétences universitaires en géosciences et la Plage un grand site de découverte des traces de dinosaures sur le plateau de Courtedoux.

Terre de sciences naturelles

Jurassica est piloté par Arlette Emch, ancienne membre de la direction générale de Swatch, Jurassienne de naissance et ethnologue de formation. «Le Jura est une terre de sciences naturelles, note Arlette Emch. Grâce aux récentes découvertes, la nature nous redonne 152 millions d’années d’évolution sans interruption, depuis une époque où la région ressemblait à la zone marine des Bahamas. C’est un héritage unique qu’il importe de valoriser. Pour ne pas le perdre, l’ouvrir au grand public et engager une réflexion sur la notion très contemporaine de l’empreinte, de toutes ces petites traces qu’on laisse désormais partout derrière soi. Le Jura ne peut compter que sur son économie et son offre touristique axée sur la nature. Il doit aussi favoriser sa dimension scientifique et culturelle. Situé à un carrefour de l’Europe, à un peu plus de deux heures de Paris, le projet Jurassica doit pouvoir attirer un large public.»

Dont des scientifiques, comme le remarque Guillaume Lachat, directeur de Jura Tourisme: «Jurassica, c’est la chance d’attirer de nouveaux visiteurs dans un lieu sans équivalent dans le monde. Des amateurs de nature, d’écologie, de développement durable, de culture. Mais aussi des publics de niche, comme les scientifiques, qui viendront assister à des congrès et séminaires. C’est un type de tourisme d’affaires encore en développement, mais au potentiel intéressant.»

Epaisseur du temps

«La préhistoire touche tout le monde, car elle parle de nos origines dans l’épaisseur du temps, note Patricia Guillermin, conservatrice du nouveau Centre de la préhistoire à Orgnac-l’Aven, en Ardèche. Qui n’est pas intéressé d’aller à la rencontre de l’homme préhistorique qui est en lui? Notre musée part du principe que les gens ont peu de connaissances sur la période. Il offre aussi un niveau d’information plus pointu, destiné à des personnes déjà informées sur le Paléolithique ou l’Age du fer, ainsi qu’à des scientifiques. L’un des plus beaux compliments que je reçois actuellement vient des préhistoriens: «Enfin un musée qui parle bien de notre discipline!»

Inauguré en juin, le Centre de la préhistoire de l’Aven d’Orgnac se substitue à un plus petit musée ouvert en 1988 pour abriter les collections du millier de sites préhistoriques du sud de l’Ardèche et du nord du Gard. Résolument contemporain, il détaille 350 000 ans d’histoire par des reconstitutions, animations (comment faire du feu, tailler un silex, moudre du grain), maquettes, tables tactiles, univers sonores et films. Sa visite est d’autant plus plaisante qu’elle est couplée avec la découverte de la grandiose et immense grotte de l’Aven d’Orgnac, dont l’entrée jouxte celle du musée.

Le couple centre d’exposition et site naturel d’exception, qui sera aussi celui proposé dans le Jura, est un avantage certain. Il s’inscrit dans la tendance des musées qui se créent non plus en ville mais loin d’elle, invitant au voyage-découverte. Pour autant que les infrastructures d’accueil soient à la hauteur: «C’est encore ce qui pèche dans le Jura, remarque Arlette Emch. L’offre d’hébergement est l’un de nos plus grands défis.»

Enthousiasme collectif

Moins de problèmes en Ardèche méridionale. «Notre région est déjà très touristique, précise Patricia Guillermin. Elle attire 30% de visiteurs étrangers, dans l’ordre: les Néerlandais, les Belges, les Britanniques et les Suisses. L’important, c’est l’accueil. Le tourisme culturel ne peut exister que si les habitants du lieu s’approprient un projet. Ces personnes se reconnaissent dans une idée qui parle de leurs origines. Ils peuvent ainsi accompagner les visiteurs, les conseiller, bref porter un enthousiasme communicatif.»

D’autant que ce tourisme culturel de haut niveau, qui se superpose aux propositions vertes, est excellent pour l’économie locale. Il draine les visiteurs par tous les temps et en toute saison, un avantage pour une région comme l’Ardèche et ses gorges, peu fréquentées l’hiver. L’attractivité régionale sera renforcée dès avril prochain avec l’ouverture, à une demi-heure de route d’Orgnac-l’Aven, de la caverne du Pont-d’Arc. Cette monumentale réplique de la grotte Chauvet, classée en juin au patrimoine mondial de l’Unesco, mais fermée au public depuis sa découverte, en 1994, proposera un rendu fidèle de la caverne aux 425 représentations d’animaux, datées de 36 000 ans. Ce sont les plus anciennes peintures connues à ce jour. Le projet de 55 millions d’euros, financés par les collectivités françaises et l’Europe, devrait attirer entre 300 000 et 400 000 visiteurs par année.

Expérience immersive

Plus au sud, en Dordogne, c’est également 400 000 entrées annuelles qui sont attendues dès 2016 à la nouvelle réplique de la grotte ornée de Lascaux, dont l’originale a été interdite d’accès en 1963 pour cause de dégradations de ses peintures vieilles de 17 000 ans. Comme à Orgnac-l’Aven, au Pont-d’Arc et à Porrentruy, un musée, ou plutôt un centre d’interprétation, mettra en lumière les richesses fascinantes de la préhistoire. Le Centre international d’art pariétal Montignac-Lascaux, son nom officiel, proposera, comme le double de la grotte Chauvet, une expérience immersive où l’obscurité, l’humidité, les sons, les odeurs, le grain de la cavité ordinale seront restitués. Avec son actuel fac-similé sur place, Lascaux attire déjà 250 000 visiteurs par an. Le futur Centre d’art pariétal, conçu par les architectes norvégiens du bureau Snohetta pour se fondre dans la nature, devrait encore plus bénéficier à sa région. La préhistoire, c’est aussi un business.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Christine Moor / Musée Historique de Berne
C. Tran / SYCPA
Jurassica
Snohetta
Stemutz
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Viewing all articles
Browse latest Browse all 4553

Trending Articles