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Jacqueline Bisset: un désir brûlant de cinéma

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Mercredi, 31 Juillet, 2013 - 06:00

Le Festival de Locarno remet un prix honorifique à la comédienne anglaise à l’occasion d’une rétrospective George Cukor, qui l’a dirigée dans son ultime film. Entretien avec celle qui jouera Anne Sinclair dans le prochain Ferrara.

Si Jacqueline Bisset se réjouit de découvrir pour la première fois la Piazza Grande, c’est plus pour y évoquer le souvenir de George Cukor, à l’occasion de la rétrospective intégrale que consacre le Festival de Locarno au cinéaste américain, que pour y recevoir un Lifetime Achievement Award. «Si je suis sensible aux honneurs? Oui, évidemment… Mais quand je regarde ma vie, je me dis que ce n’est pas fini…» dit-elle d’emblée lorsqu’on la joint à son domicile californien. Entre de francs éclats de rire, passant constamment du français à l’anglais, la comédienne britannique, née en 1944 dans le Surrey, passera l’heure suivante à égrener avec passion ses souvenirs de cinéma. A l’autre bout du fil, Jacqueline Bisset est d’une simplicité confondante. «J’ai appris une chose en travaillant à mes débuts avec Frank Sinatra ou Steve McQueen, dira-t-elle plus tard, les acteurs sont avant tout des gens, et pas si différents de vous et moi.»

George Cukor vous a dirigée en 1981 dans «Riches et célèbres», son ultime film, sorti un an et demi avant sa mort. Quels souvenirs gardez-vous de ce tournage?
J’ai beaucoup de souvenirs, mais ils ne sont pas tous agréables… J’ai rencontré Cukor à la 20th Century Fox au début de ma carrière, alors que je commençais à travailler aux Etats-Unis. On a passé du temps ensemble, car la Fox voulait qu’il filme des essais pour les dossiers du studio. C’est alors que j’ai accepté de faire un test pour un film précis, sans savoir que c’était interdit, vu que j’étais sous contrat avec la Fox. Cukor a alors été très énervé, j’étais une mauvaise fille qui avait accepté de travailler avec quelqu’un d’autre. Or, je ne connaissais rien au système, je suivais simplement ce que mon agent me disait. Tout cela a très mal fini et j’ai dû quitter Los Angeles avec une sorte de nuage noir au-dessus de ma tête.

Des années plus tard, on décide de confier la réalisation de Riches et célèbres à Robert Mulligan (Jacqueline Bisset est coproductrice du film, ndlr). Mais, quatre jours après le début du tournage, une grève des acteurs bloque tout. Après plusieurs semaines d’attente, Mulligan décide de se retirer du projet et le studio nous suggère le nom de Cukor. Ce qui m’angoisse: est-il toujours fâché à cause de cette vieille histoire? Il ne m’a finalement rien dit. Il adorait le script et, même si notre contact ne fut pas idéal, tout s’est très bien passé. Il me trouvait très travailleuse et il a été plutôt gentil, même si par moments c’était difficile. Car c’était quelqu’un de très exigeant, qui n’avait peur de personne et était très autoritaire. Mais il était toujours au service du film. Sur le plateau, il se comportait comme un chef d’orchestre, agitait sa baguette en criant: «Plus vite, plus vite!» Il détestait les pauses.

Le Festival de Locarno va également projeter «Au-dessous du volcan», que vous avez tourné trois ans plus tard sous la direction d’un autre monstre sacré, John Huston, qui vous avait déjà dirigée en 1972 dans «Juge et hors-la-loi»…
C’est vrai mais, à l’époque de Juge et hors-la-loi, il était très malade et c’est finalement Paul Newman qui m’a dirigée. Même s’il n’était pas non plus en superforme au moment d’Au-dessous du volcan, c’est là que je l’ai vraiment rencontré. Sur le plateau, c’était quelqu’un qui ne parlait pas beaucoup, mais qui savait toujours où placer la caméra. La combinaison de Cukor et Huston m’a permis de comprendre beaucoup de choses sur le cinéma. Avant, j’aimais les gros plans de Bergman ou de Cassavetes, j’aimais que la caméra soit très proche des acteurs. Je n’avais pas compris que le corps était aussi important.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma? Etait-ce un rêve de petite fille?
Quand j’étais enfant, je n’allais pas au cinéma et on n’avait pas la télévision. Mais, vers 15 ans, mes parents, qui se rendaient au cinéma tous les jeudis, ont commencé à m’emmener avec eux. J’ai alors découvert des films français et anglais, jamais américains, puis, quand je suis partie à Londres pour étudier au lycée français, j’ai rencontré un groupe de jeunes qui adoraient le cinéma. J’ai vu ainsi beaucoup de films, j’ai découvert Visconti, Pasolini, Fellini, Antonioni, Truffaut, Chabrol, c’était fantastique et très excitant. Jusque-là, je voulais être danseuse, mais la manière qu’avait Bergman de filmer les femmes me fascinait. Je ne connaissais que ma mère, je ne savais rien des femmes, et tout à coup je découvrais des comportements subversifs. Je ne comprenais pas tout ce que je voyais, mais je trouvais cela formidable. Et puis il y avait Jeanne Moreau, Simone Signoret, Monica Vitti, de grandes actrices. Je n’étais pas très sophistiquée, mais l’érotisme et l’amour qui se dévoilaient au cinéma m’attiraient. Tout en faisant des photos de mode pour me payer des cours d’art dramatique, j’ai passé des auditions. Le désir de faire partie de ce milieu que je ne comprenais pas brûlait en moi, mais je ne pensais pas y arriver.

C’est alors que Richard Lester, Roman Polanski puis Stanley Donen vous offrent de petits rôles, avant que vous ne soyez révélée en 1968 par «Le détective» et «Bullit», où vous partagez l’affiche avec Frank Sinatra et Steve McQueen. Comment avez-vous vécu votre notoriété naissante?
Je ne me considérais pas comme une actrice. J’étais timide et je n’avais aucune idée de ce que je pouvais représenter. J’étais également trop occupée par l’homme avec lequel je partageais ma vie. On était comme deux étudiants, on vivait à la plage et on n’avait pas de vie sociale, on n’allait pas aux premières.

Dans les années 70, vous devenez, à la sortie des «Grands fonds», dans lequel vous faites de la plongée avec un T-shirt blanc très transparent, un sexe-symbole. «Newsweek» vous qualifie même de «plus belle actrice de tous les temps». Difficile à gérer?
Très difficile! Je ne prenais pas cela au sérieux, mais en même temps c’était là… Pour moi, c’était une aberration, je ne comprenais pas pourquoi on accordait autant d’attention à cela alors que je venais de faire Le magnifique avec Jean-Paul Belmondo et La nuit américaine sous la direction de François Truffaut. Soudain, on ne s’intéressait plus qu’au succès énorme des Grands fonds, et ça me dépassait. J’étais choquée d’être réduite à un T-shirt… Aujourd’hui j’en rigole, mais à l’époque j’étais vraiment très énervée.

Certaines actrices se plaignent qu’après 50 ans elles trouvent moins de rôles intéressants que les acteurs. Avez-vous ressenti cela?
Bien sûr que j’ai de la difficulté à trouver des rôles, mais je suis prête à bouger si on me propose quelque chose d’intéressant. Là, je viens de faire un film avec Gérard Depardieu, Welcome to New York, et une série pour la télévision anglaise, Dancing on the Edge. Mais j’aimerais travailler plus.

Dans «Welcome to New York», d’Abel Ferrara, vous interprétez Anne Sinclair face à Depardieu en Dominique Strauss-Kahn. Difficile de jouer une femme réelle, encore en vie et au cœur d’un fait divers retentissant?
J’ai lu énormément de choses sur elle afin de me préparer. Et en ce qui concerne les événements narrés dans le film, on ne sait pas vraiment ce qui s’est passé. Il reste beaucoup de questions ouvertes, non? De mon côté, je n’ai vu que l’amour. Ça se voit dans ses photos: Anne Sinclair aimait vraiment Dominique Strauss-Kahn. Je n’ai pas hésité une seconde à accepter le rôle.

Vous êtes parfois plus hésitante?
Oui, je peux être très difficile. C’est du moins ce que me dit mon agent… Il y a beaucoup d’acteurs qui disent oui à tout, mais de mon côté il faut qu’un film déclenche quelque chose, que mon cœur me dise de l’accepter.


Locarno 2013: des invités de prestige et une très attendue «Expérience Blocher»

Jacqueline Bisset sera donc sur la Piazza Grande locarnaise afin d’y recevoir une distinction honorifique. Une star parmi d’autres: le festival accueillera également Faye Dunaway, Anna Karina, Victoria Abril, Christopher Lee, Werner Herzog ou encore le visionnaire Douglas Trumbull, responsable des effets spéciaux de 2001, l’odyssée de l’espace, de Blade Runner et de Rencontre du troisième type.

Du côté de la compétition internationale, le nouveau directeur artistique de la manifestation, l’Italien Carlo Chatrian, a réussi pour sa première édition à mettre sur pied une programmation de haute tenue, avec la présence, notamment, de Joaquim Pinto, Júlio Bressane, Claire Simon, Albert Serra, Kiyoshi Kurosawa, Emmanuel Mouret, Pippo Delbono, Hong Sang-soo, ainsi que les Suisses Thomas Imbach et Yves Yersin.

Quant à la programmation de cette vitrine de prestige qu’est la Piazza Grande, l’équilibre semble réussi entre grosses machines internationales (2 Guns de Baltasar Kormákur, About Time de Richard Curtis, We’re The Millers de Rawson Marshall Thurber), classiques (Fitzcarraldo de Werner Herzog, Rich and Famous de George Cukor), découvertes et films suisses. Romands même, puisque les spectateurs découvriront en première mondiale Les grandes ondes (à l’ouest) de Lionel Baier et le très attendu L’expérience Blocher, de Jean-Stéphane Bron. Un documentaire qui suscite déjà des craintes: et si, avec l’empathie qu’on lui connaît, le réalisateur du Génie helvétique avait réussi à rendre sympathique Christoph Blocher, qui pourrait dès lors récupérer le film à son avantage? Reste que le cinéaste est aussi habile que le politicien, et qu’il semble peu probable que le film lui ait échappé. Réponse sur la Piazza Grande le 13 août.

Festival du film de Locarno. Du 7 au 17 août. www.pardo.ch

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Didier Baverel, WireImage
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