Vous devriez haïr Erik Schroder, le narrateur du livre d’Amity Gaige, et pourtant vous l’aimez. A quelques semaines de son procès, Erik prend la plume pour expliquer à Laura, son ex-femme, pourquoi il est parti avec leur fille Meadow, 6 ans, sans rien lui dire. Pourquoi il a vécu toute une vie en prétendant s’appeler Eric Kennedy, pourquoi il a laissé la machine judiciaire et policière s’emballer, pourquoi il a laissé Laura mourir d’inquiétude alors qu’il voulait simplement passer quelques jours enfin seul avec sa fille qu’il ne voyait plus qu’une fois par mois.
Schroder, premier roman traduit en français de l’écrivaine américaine Amity Gaige, est une exploration saisissante et poignante de la condition paternelle en temps de séparation. Il fait évidemment écho aux cas dramatiques d’enlèvements, voire d’infanticides, que nous connaissons mais, subtil et profond, va plus loin que le simple fait divers.
Quels liens complexes et profonds existent entre un homme et une femme qui ont été mariés, mélange d’intimité absolue, de passion, de colère, de dépendance affective? Quelle est la place des hommes dans la vie de leurs enfants? Pourquoi les mères ont-elles tant de peine à ne pas s’accaparer ces mêmes enfants? Peut-on être un menteur, un escroc, et un bon père dans le même temps? Pourquoi cherche-t-on forcément à punir l’autre lorsqu’on décide de se séparer? Pourquoi les blessures d’enfance ressurgissent-elles avec une telle force lorsqu’on a soi-même des enfants? Dérangeant, subtil, à contre-courant, Schroder répond à ces questions avec force et compassion.
A travers la longue confession sans fard, désarmée, cruelle d’Erik à Laura, le récit qu’il lui fait à la fois des quelques jours de bonheur passés avec sa fille et des années qui ont précédé l’épisode, de sa jeunesse d’émigré allemand à ses premiers mensonges amoureux, c’est le procès d’une société aveugle que fait aussi Amity Gaige, fille d’une émigrée lituanienne. Une société dans laquelle l’amour semble ne rien valoir: Erik est mû par l’amour, il aime sa fille par-dessus tout, il cherche l’amour de sa femme et des autres, mais cet amour, qu’il donne autant qu’il quémande, le mène à sa perte.
«Schroder». D’Amity Gaige. Belfond, 360 p.