Préalpes et Alpes accueillent cet été plusieurs expositions de photographies, instaurant un dialogue fécond entre leur contenu et leur environnement. De Rossinière au val de Bagnes, grand tour d’horizon.
Si l’art est une question de hauteur de vue, autant pousser la proposition jusqu’au bout. Et aller voir comment des œuvres exposées en altitude, mettons à partir de 1000 mètres, encouragent d’autres regards, d’autres expériences que celles exposées en plaine, par exemple dans des musées. L’offre ne manque pas, tant le tourisme culturel prend son essor dans les Alpes. Il permet d’attirer une autre clientèle estivale en lui proposant une alliance nouvelle entre art et balade. L’exercice consiste souvent à poser des sculptures en pleine nature ou à s’approprier des lieux patrimoniaux avec des accrochages d’intérêts divers, sans que le dialogue entre l’œuvre et son environnement fasse l’objet d’une réflexion poussée.
Mais la situation évolue dans un sens positif. A preuve les photographies disposées sur le couronnement du barrage de Mauvoisin, dans le val de Bagnes (VS), et dans le village de Rossinière (VD). Un lieu à 2000 mètres, l’autre à 1000, mais d’égal intérêt.
L’exposition valaisanne, Formes & Façons, se déploie en fait sur deux lieux: le musée du val de Bagnes, au Châble, et Mauvoisin. Résidente de Verbier, spécialiste en communication, Evelyne Lepage a proposé une belle idée à Bertrand Deslarzes, le délégué culturel de la commune de Bagnes. Susciter la rencontre entre la population locale et des étrangers établis sur place. Evelyne Lepage est Belge, comme l’est le photographe à qui elle s’est adressée, Hugues Dubois. Celui-ci est un spécialiste réputé des objets d’art, comme les œuvres islamiques qu’il photographie actuellement pour le Louvre.
Le duo belge a provoqué une autre rencontre: le patrimoine bagnard et l’art contemporain, voire les arts premiers. Hugues Dubois a photographié des outils anciens conservés dans le Musée de Bagnes et ses dépendances de Verbier (l’Espace Alpin) et Villette (l’Ancienne Demeure). Il les a cadrés en gros plan, avec une précision confondante. Si bien que les cloches, gourdes, bols, louches, rabots ou fètchuires (moules à fromage) perdent leur fonction d’objet pour gagner une allure de totems, boucliers, masques et oiseaux cérémoniels. L’objet devient sujet, le local universel, le profane sacré. Ces images extraordinaires de «formes» sont montrées au Musée de Bagnes.
Dialogue du patrimoine et de l’art contemporain. Plus haut, sur le barrage, disposées sur des supports de 2 m 40 de hauteur, voici les «façons», en l’occurrence la forge musée Oreiller (à Villette) photographiée par Hugues Dubois. Du XIXe au XXe siècle, les maîtres artisans de la forge produisaient des outils et des cloches pour les vaches. Là encore, patrimoine et art convergent. Les objets et l’atelier de la transformation du fer se transforment eux-mêmes en signes, matières, installations et abstractions, refondant leurs propres définitions. Et modes de perception.
Ce dialogue, au sein de la même vallée, du patrimoine et de l’art contemporain est riche en correspondances. Surtout sur le barrage, avec la lumière forte, où tel trou d’une plaque de fer échange avec un tunnel creusé dans la roche, le métallurgique avec le minéral, le préindustriel avec l’industriel (la fonction du barrage) et le postindustriel (l’intention artistique). Les échelles jouent elles-mêmes du contraste: les photos sont monumentales lorsqu’on les regarde de près, mais minuscules quand on les appréhende de loin, dans le décor grandiose de Mauvoisin.
Cette conversation silencieuse permet de saisir une qualité diffuse: l’intelligence des lieux. C’est ce qui arrive également à Alt. +1000 dans le Pays-d’Enhaut, à Rossinière. Le thème de la troisième édition de ce festival consacré à la photographie de montagne est l’altitude (voir L’Hebdo No 22).
La douzaine d’expositions installées dans les habitations séculaires, ou en plein air, multiplient les approches conceptuelles de l’altitude. Nicolas Crispini photographie les pierriers sur lesquels il a l’habitude de se promener, et parfois de se perdre, à près de 2000 mètres. Il y ajoute après coup le tracé des dénivelés enregistré par son GPS, superposant une nouvelle montagne à celle enregistrée sur place. Simon Norfolk s’est installé dans la vallée de Bamiyan, en Afghanistan, à 2500 mètres, pour contempler le cycle des saisons avec un dispositif toujours magique: un même lieu photographié au printemps, en été, en automne et en hiver. Avec en toile de fond une dernière saison menaçante, celle des catastrophes causées par la violente fonte des neiges. Cyril Porchet met son objectif à la verticale pour photographier les voûtes peintes des églises baroques, ces représentations de l’altitude infinie de la divinité. Mais le noir et blanc, la lumière et la perspective sèment le doute: que voit-on? Un trompe-l’œil, à coup sûr…
Là encore, le tête-à-tête entre les œuvres et leur environnement permet de mieux comprendre le thème choisi. Montrer les altitudes en altitude, si l’on ose dire, c’est favoriser la contemplation, celle qui prend son temps et s’imprègne des lieux. Tout le monde y gagne, les spectateurs comme les artistes.
Cet été, la montagne propose d’autres expositions excursions. A Rossinière toujours, un parcours mêlant photographies et objets permet de découvrir l’œuvre en bambou de l’architecte colombien Simón Vélez. A Verbier, entre les Ruinettes et La Chaux, le festival de musique classique revient sur ses 20 ans avec une promenade photographique. A Champex, au Jardin Flore-Alpe, l’exposition de sculptures fête ses 10 ans avec une rétrospective des artistes qui ont participé aux éditions précédentes. Enfin, le village de Morgins prend l’allure d’une galerie d’art grâce à la participation d’une vingtaine d’artistes.
www.museedebagnes.ch, www.plus1000.ch, learning-from-vernacular.epfl.ch, www.verbier.ch, www.flore-alpe.ch, efaexpo.com