Biographie. Alors qu’il s’apprête à créer l’événement au Montreux Jazz, Pharrell Williams est célébré par Christophe Passer dans un ouvrage retraçant sa déjà longue carrière.
Il était un nom, il est devenu un prénom. Comme on dit encore Michael ou Miles, même si Jackson et Davis sont redevenus poussière, on dit désormais Pharrell, tout simplement. C’est à cela qu’on reconnaît les artistes qui auront marqué leur époque. Un prénom suffit. On dit donc Pharrell, à l’heure où l’on célèbre les vertus réconciliatrices et le positivisme du tube Happy et de ses vidéos réalisées à travers le monde par des milliers d’anonymes sur le concept «je danse donc je suis». Mais sait-on vraiment qui se cache derrière la star, dont l’année 2014 restera celle du triomphe mondial et intergénérationnel?
Pharrell Williams, car c’est son vrai nom, est né en avril 1973 à Virginia Beach, à un peu moins de 600 kilomètres au sud de New York. Certains le prennent encore pour un jeune premier alors qu’il évolue dans le business musical depuis plusieurs décennies. C’est d’abord cela que raconte Pharrell Williams – Une icône pour le XXIe siècle, une biographie signée Christophe Passer, rédacteur en chef adjoint de L’Hebdo. Pharrell, c’est une longue histoire, et elle n’avait encore jamais été racontée dans un livre. Le manque est donc comblé à l’heure où la tournée mondiale de l’Américain s’arrête au Montreux Jazz Festival pour une date événement, une semaine avant la venue de la légende Stevie Wonder, un musicien qui a beaucoup compté pour lui. Un demi-siècle de musique noire états-unienne en deux concerts.
La longue histoire de Pharrell, Christophe Passer a choisi de l’introduire en partant du 26 janvier 2014, première d’une série de huit dates qui servent de titres aux chapitres de son ouvrage. Ce soir-là, le Staples Center de Los Angeles accueille la cérémonie des Grammy Awards. Pour un musicien, recevoir un Grammy, c’est entrer au panthéon de la musique. Et, ce soir-là, les professionnels réunis dans l’enceinte d’habitude dévolue au sport assistent médusés au triomphe de deux DJ français déguisés en robots. Les Daft Punk remportent notamment le prix du meilleur enregistrement pour Get Lucky, tube de l’été 2013 interprété par Pharrell sur un air funky du guitariste Nile «le Freak» Rodgers.
Voilà les deux hommes sur scène pour interpréter ce titre. A leur côté, Stevie Wonder himself. Les robots n’apparaîtront qu’en fin de morceau pour un mash-up d’anthologie durant lequel l’extatique mélodie de Get Lucky se frotte à d’autres tubes de Daft Punk, mais aussi au Freak et surtout à Another Star, classique enregistré par Wonder en 1976. Dans la salle, c’est du jamais-vu. Les deux Beatles encore en vie sont debout et dansent, tout comme Yoko Ono, Beyoncé, Jay-Z ou encore Steven Tyler. Finalement, ce ne sont pas les robots que tout ce beau monde ovationne, c’est Stevie, bien sûr, mais aussi Pharrell. Car cette performance est la sienne. «Il adoube et se fait adouber, écrit Christophe Passer. L’homme au chapeau a tout emporté, fédéré l’affaire, et le succès du show est tel qu’il suscite quelques jalousies au moment où, dans les heures qui suivent la cérémonie, des journaux américains se mettent à en parler comme de la plus grande prestation de l’histoire des Grammies.»
La classe faite homme
L’homme au chapeau, dit Christophe Passer. Des couvre-chefs, Pharrell en possède beaucoup. Le plus improbable, qui n’irait pas à grand monde, c’est un Mountain Hat signé Vivienne Westwood. Ce chapeau-là, c’est un symbole. Créé au début des années 80, il a été porté par celui qui était alors le compagnon de la styliste, le sulfureux Malcolm McLaren. Producteur des éphémères Sex Pistols et figure clé du mouvement punk, il l’arbore dans une vidéo du groupe rap qu’il vient alors de créer, Malcolm McLaren & The World’s Famous Supreme Team. Le Mountain Hat fait le lien entre les scènes rock et hip-hop, et c’est pour ça qu’il plaît tant à Pharrell, estime Christophe Passer. «Il n’a jamais l’air déguisé et pourtant il ne ressemble à personne», résume le journaliste dans l’un des aphorismes placés en exergue de chaque chapitre.
Pharrell «ne tente jamais de faire croire qu’il a tout inventé». Le Mountain Hat le prouve, tout comme la prestation des Grammies, lorsqu’il triomphe avec un morceau qui n’est pas vraiment le sien et qu’il s’incline devant Stevie. A l’inverse d’un Kanye West, Pharrell n’a jamais cherché à faire tabula rasa de ses racines, n’a jamais prétendu inventer quelque chose, être un pionnier. Il aime citer Michael ou Earth, Wind & Fire parmi ses maîtres, tout comme il rappelle fréquemment qu’il est aussi féru de rock. Pharrell, c’est un style, mais aussi une synthèse.
Lorsqu’il commence à se faire connaître au début des années 90 avec son ami d’enfance Chad Hugo, avec qui il formera The Neptunes, beaucoup pensent qu’il est trop fade et pas assez looké pour être crédible. Pas assez Black non plus, à l’heure où le gangsta-rap est tout-puissant. Aujourd’hui, Pharrell, c’est la classe faite homme, l’élégance ultime.
Enfance dans le quartier historique de Seatack, passion pour la télévision, rencontres avec Hugo puis avec le producteur Teddy Riley, celui qui leur laissera leur chance. L’histoire de l’Américain est longue, Christophe Passer la résume à partir d’extraits d’interviews et de sources secondaires. Car Pharrell ne parle ni de son enfance ni de sa vie privée – à peine sait-on qu’il est atteint de synesthésie, qu’il voit littéralement la musique en couleur –, de même que sa famille n’accorde jamais d’interviews. Il parle musique et, dans le fond, c’est tout ce qui compte.
En lisant la biographie publiée par les Editions Favre, on prend alors conscience que son univers est d’une extrême cohérence. Pour le rédacteur en chef adjoint de L’Hebdo, l’homme a un côté joueur de flûte. Il est rassembleur, avec le don rare de pouvoir fédérer des gens d’horizons opposés. Avec Hugo, il s’est imposé comme un producteur capable de transcender n’importe quelle mélodie, d’apporter à un artiste aussi insipide soit-il une réelle profondeur. Bien connus dans le milieu hip-hop, The Neptunes produisent au début du deuxième millénaire Justin Timberlake et Britney Spears, qui reçoivent une crédibilité nouvelle. Malgré cet écart, Pharrell et Hugo ne se coupent pas de leurs racines street. Busta Rhymes, Snoop Dogg ou Clipse continuent de faire appel à eux.
Et on Met le son
En 2001, les producteurs deviennent musiciens à part entière. Pharrell et Hugo s’associent à Shay Haley pour former N*E*R*D, une formation qui fusionne pop, rock et hip-hop avec une fougue ahurissante. Christophe Passer considère d’ailleurs à juste titre le premier album du groupe, In Search Of…, comme bien plus intéressant que les deux disques solo de Pharrell. Et de citer cette statistique: en 2003, 43% des titres diffusés par les chaînes de radio américaines qui comptent sont passés d’une manière ou d’une autre entre les mains du natif de Virginia Beach.
L’univers de Pharrell passe aussi par la mode et l’art. Le musicien a créé une marque de vêtements, il vient de se faire commissaire d’expo pour un accrochage visible dans une galerie parisienne branchée. Il touche à tout mais le fait sans jamais paraître nombriliste ou opportuniste. Toujours cette volonté de s’incliner, cette modestie qui semble sincère. Pharrell n’a jamais été pris en flagrant délit de bling-bling. «Mon but était d’écrire un livre populaire et non un traité de musicologie, un livre qui n’ennuie pas le lecteur et qui donne envie d’écouter de la musique», avoue Christophe Passer.
Mission accomplie. On lit son bouquin avec un réel plaisir, on y apprend une foultitude de choses même si on a suivi la carrière de Pharrell depuis ses débuts. Surtout, c’est sacrément bien écrit, ce qui n’est pas l’apanage de ce genre de biographie. Et, en effet, impossible de ne pas être saisi par l’irrépressible envie de monter le volume, de réécouter Pharrell, The Neptunes et N*E*R*D, mais aussi Stevie, Michael et les autres. «Clap along if you feel like happiness is the truth…»
«Pharrell Williams – Une icône pour le XXIe siècle». De Christophe Passer. Ed. Favre, 144 p. Pharrell Williams en concert le 7 juillet au Montreux Jazz Festival. Complet, mais quelques billets seront vendus le jour même aux caisses du festival, dès 16 h.
Pharrell Williams
Naissance le 5 avril 1973 à Virginia Beach. Fonde The Neptunes en 1990, puis N*E*R*D en 2001. Premier single solo, Frontin’, en 2003, suivi de deux albums: In My Mind (2006) et G I R L (2014).