Son Musée de l’innocence, créé en 2012 dans le quartier des antiquaires de Çukurcuma à Istanbul, vient de recevoir le 37e Prix européen du musée de l’année. Bingo pour le premier musée au monde né en écho à un roman, en l’occurrence le roman éponyme du Prix Nobel de littérature Orhan Pamuk. Destiné à abriter les objets de l’histoire d’amour fictive de son roman, il peut aussi être considéré comme un musée historique de la vie stambouliote dans la seconde moitié du XXe siècle.
Ce Pamuk archiviste de l’intime, on le retrouve en lisant Cevdet Bey et ses fils, le premier roman écrit par l’écrivain stambouliote en 1982, inédit en français. Roman fleuve, saga familiale de 800 pages, il suit le destin d’un homme d’affaires, Cevdet Bey, depuis la veille de ses noces avec la jeune Nigân, en 1905, jusqu’à la mort de celle-ci dans les années 70. Scène sublime où l’on voit Nigân s’endormir dans un fauteuil sous les yeux de son petit-fils Ahmet, peintre, qui file à l’étage terminer le portrait de son grand-père, pris d’un insatiable besoin de retour aux origines. Cevdet Bey et ses fils contient en germe l’œuvre à venir d’un des écrivains majeurs d’aujourd’hui, à qui l’on doit le prodigieux Mon nom est Rouge, Istanbul ou Neige.
Les thèmes de la mémoire, des destinées personnelles face à l’histoire, de la filiation sont explorés avec passion. Pamuk met le doigt sur la transition du mode de vie ottoman à celui qui caractérise la modernité occidentale, les tensions qui en ont découlé et qui en découlent encore en 2014. Et puis quel plus beau portrait de l’écrivain en artiste qui, après avoir cherché en vain les carnets ou journaux laissés par son grand-père, décide de ne se fier qu’à son imagination pour retracer son portrait, parce que «l’art est une forme de connaissance».
Clik here to view.
