Mystère.Avec «Splendour», la romancière Géraldine Maillet se met dans la peau de l’actrice pour raconter sa dernière nuit. Une façon haletante de dire un destin tombé d’un yacht une nuit de novembre 1981.
Elle ne savait pas nager. Elle avait peur de l’eau. Autrefois, une diseuse de bonne aventure lui avait annoncé que l’élément liquide lui serait fatal. Elle est morte à 43 ans, au large de Santa Catalina, Californie, retrouvée noyée en chemise de nuit et chaussettes. Elle avait des ecchymoses, et c’était avant de se noyer. Elle avait bu. Sur le petit yacht, le Splendour, où elle avait pris place, il y avait deux hommes avec elle, tout aussi bourrés: Robert Wagner, ex-jeune premier has been et grossissant, qu’elle avait épousé deux fois et dont elle était encore la femme. Et puis Christopher Walken, avec qui elle baisait sans passion sur un tournage en cours. Elle avait toujours eu beaucoup d’amants: Warren Beatty ou Sinatra, un producteur ici ou un type qui passait par là, elle n’était pas regardante, elle était malheureuse et affamée de tendresse. Sur le bateau, il y avait eu une dispute. Elle et Wagner? Ou Wagner et Walken? Les trois ensemble? Est-elle tombée? S’est-elle enfuie avec le canot, et puis l’accident? On ne sait pas. On ne saura pas.
Nuit de défaites
Elle était d’origine russe, Natalia Nikolaevna Zakharenko, dite Natalie Wood. Et avant d’être une chanson et désormais ce beau roman tragique, elle avait tourné dans La fureur de vivre avec Jimmy Dean, La prisonnière du désert avec John Wayne, West Side Story ou La fièvre dans le sang, aux côtés de Beatty. Une star depuis ses 9 ans et Le miracle de la 34e rue. Trois fois nommée aux oscars.
Géraldine Maillet raconte sa dernière nuit. Wood est dans l’eau, elle va mourir noyée, elle se débat. Elle est en rage, elle se souvient. Elle essaie de savoir le pourquoi des mélancolies, des solitudes qui suffoquent bien avant la flotte froide et salée, ce viol ancien et jamais guéri, tous les faux-semblants d’une actrice qui fut déesse, et sait l’amertume du déclin via de mauvais téléfilms.
A la première personne, la romancière dit cette nuit de toutes les défaites, Natalie manque d’air, les deux souillasses avec elle ricanent, la vie résumée à quelques films anciens, à deux ou trois secondes dans l’espérance de l’amour, mais les vagues qui emportent les gens et les serments menteurs. Etre aimée, être la chérie d’un homme plutôt que la pouffiasse chérie des foules en rut. Comme toujours.
Elle était belle comme c’est invraisemblable, Natalie Wood. Elle avait ce glamour apeuré, fixé dans la flamboyance de la fin des fifties, Elvis, Dean, le technicolor un peu outré lui rougissait la bouche si miraculeusement obscène. Icône, merveille, elle est pour toujours un peu là, dans la mer aux souvenirs, un drôle de regret haletant, une question perdue dans l’eau. Géraldine Maillet y plonge avec elle, lui tient la main dans le noir nauséeux, lui dit des bouts de poèmes comme à l’enfant que l’on veut rassurer, même si ça ne sert à rien. C’est un livre bouleversant et en colère.