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Zoé, Marie: des livres pour les pleurer

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Jeudi, 24 Avril, 2014 - 06:00

Antoine Schluchter, le père de Marie, et Natalie Guignard, la mère de Zoé,publient chacun un livre en mémoire de leur enfant décédé. Thérapeutique?

Marie, Zoé: deux gamines romandes mortes trop tôt, l’une à l’âge de 19 ans, le 13 mai 2013, après avoir été enlevée et assassinée, l’autre le 26 octobre 2013, à l’âge de 5 ans, d’un cancer neuroblastome incurable, deux gamines dont le sourire lumineux figure aujourd’hui en bonne place dans les librairies et kiosques de Suisse: tant le père de Marie, Antoine Schluchter, pasteur à Villars-sur-Ollon, que la mère de Zoé, Natalie Guignard-Nardin, ont écrit un livre en mémoire de leur enfant décédé. Je te salue Marie, ma fille et La leçon de Zoé, tous les deux parus aux Editions Favre: deux tombeaux de papier pour conjurer le sort, faire la nique à la Faucheuse, deux témoignages pour repousser le temps de l’oubli, des livres à l’histoire très différente, qui rappellent chacun à sa manière que l’écriture est thérapeutique.

A l’annonce de l’enlèvement puis de la mort de Marie, Antoine Schluchter n’a pas pris de notes ni tenu de journal. En été, il décide de suivre une formation à l’accompagnement spirituel en situation d’urgence prévu de longue date. En septembre, il reçoit une lettre de l’éditeur Pierre-Marcel Favre, qui lui demande si Marie ne mériterait pas davantage que quelques articles de journaux. C’est la «chiquenaude» de départ. En octobre, il part seul au monastère de Ganagobie, près de Sisteron, puis à Aix, où il a longtemps habité, et termine le livre trois mois plus tard en Californie, chez son autre fille. Lui qui a l’habitude d’écrire, mais des textes de théologie et des mémoires, apprend l’expression personnelle. «Ce livre m’a aidé à poser des jalons après le drame. Pour moi, faire son deuil, c’est se laisser traverser. Se poser plutôt que d’être dans le faire. Le livre m’a permis cela.»

Natalie Guignard a, elle, ouvert un blog en janvier 2009, deux mois après la naissance de Zoé. Pour tenir les proches au courant sans avoir à répéter encore et encore les mêmes informations concernant la petite fille née malade du cancer. Peu à peu, reconnaît Natalie, ce journal de bord est devenu «une manière d’extérioriser» ce qu’elle vivait, de «partager» avec d’autres parents, d’autres lecteurs, de créer une «communauté» de solidarité et de sympathie. «Les mots me venaient facilement. Cela me faisait du bien de raconter ce que nous vivions, de parler de Zoé. Je voulais aussi laisser une trace pour mes filles, qu’elles aient des souvenirs de ces années de combat contre la maladie. Après le décès de Zoé, il était aussi important que sa sœur Lana puisse se reconstruire. Le ressenti du moment s’efface.» A la fin, cinq ans de la vie de Zoé se racontaient dans son blog. Le journaliste Alain Maillard, ancien monsieur Ligne de cœur de la RTS, l’aide à trier, synthétiser. «J’étais incapable de le faire seule après le décès de Zoé. J’y aurais mis trop de tristesse, alors que je voulais me concentrer sur ce que je voulais retenir d’elle. Sa joie, les bons moments.»

Panser. Retenir la joie: c’est bien de cela qu’il s’agit. Ecrire, publier sont des actes thérapeutiques. Mettre des mots sur une souffrance ne fait pas forcément de la littérature, et même si le livre d’Antoine Schluchter est plus écrit, plus construit que celui de Natalie Guignard, aucun des deux n’y prétend. «Les mots ont une épaisseur, une densité, une profondeur auxquelles la prétendue communication orale ne donne pas la possibilité de se manifester», écrit Camille Laurens, qui exorcisa la mort d’un fils dans Philippe ou Cet absent-là. «Car les mots pansent: eux par quoi s’élabore le pensement – prennent soin aussi de nos blessures.»

«Je n’ai pas écrit un livre pour faire une thérapie mais, sans conteste, il a été bienfaisant, confie Antoine Schluchter. J’ai écrit le livre dans une envie de communication vraie et forte. En écrivant, je me sentais relié aux autres.» Il vit tous les moments d’écriture comme des «moments privilégiés». «J’ai laissé la vie avec Marie remonter à ma mémoire, les souvenirs revenir. La seule limite que je me suis fixée, c’est de ne pas m’étaler. Rester dans la réalité des faits, ne pas me mettre en conjecture ni céder à la culpabilité.»

Relire, retravailler les textes de son blog a, de même, fait «du bien» à Natalie Guignard. «Cela m’a aidée à réaliser ce par quoi nous sommes passés, ce que Zoé nous a apporté. Dans le combat, on n’a pas le temps de penser à tout cela, on ne réfléchit pas, on agit.» Elle peut revivre le dernier voyage, encore et encore, celui qui a permis à Zoé de réaliser son rêve de voir le dauphin Winter en octobre 2013. «Ce livre me permet de partager notre histoire. C’est tellement important pour nous, mais aussi pour ceux qui vivent le même drame et qui se sentent isolés. C’est un livre de mémoire mais aussi de combat. Il tente de corriger l’injustice de sa mort pour aider les autres parents d’enfants cancéreux.»

Dans un pays qui n’a pas l’habitude de l’expression des émotions et du deuil, les réactions sont contrastées. Natalie Guignard ne s’attendait pas à ce qu’«autant» de gens la lisent, la «critiquent», aussi. «Tout est interprété, quand vous faites quelque chose pour aider ou laisser des traces! Ce n’est pas évident de gérer, les critiques…» A Antoine Schluchter, quelqu’un a lancé: «A quand un film?» «Je me retrouve en lumière pour une histoire que j’aurais préféré ne pas écrire, ne pas vivre. Mais il m’est plus facile d’assumer d’avoir écrit ce livre que d’aller assister au procès de l’assassin de ma fille…»

«Je te salue Marie, ma fille». D’Antoine Schluchter, Ed. Favre, 250 p.
«La leçon de Zoé». De Natalie Guignard, Ed. Favre, 180 p.
Antoine Schluchter et Natalie Guignard seront ensemble sur la scène du Salon du livre de Genève jeudi 1er mai à 17 h.


Mary Anna Barbey et l’écriture thérapeutique
L’écrivaine, pionnière du planning familial en Suisse romande, l’a aussi été en créant les premiers ateliers d’écriture en Suisse romande.

«L’écriture peut être thérapeutique mais, attention, on ne guérit pas du cancer en écrivant! Créer, c’est gagner un peu contre le néant et la détresse. C’est en cela que la démarche fait du bien. Ecrire sert à mieux savoir où l’on en est, et la partager avec d’autres fait circuler les choses, empêche qu’elles ne restent coincées à l’intérieur. Plus que les autres arts, l’écriture est liée à la notion de perte et d’absence. Je l’ai constaté en travaillant avec des malades du cancer. Lorsqu’on peut, via l’écriture, renouer avec le passé, les souvenirs d’enfance, on revient dans la vie, on ne reste pas que dans la maladie et le repli sur soi. On peut rétablir une certaine vitalité ainsi, donner du sens à ce qui nous paraît fragmenté, absurde. Il a été prouvé que, lorsqu’on exprime son histoire, des émotions, même sans être lu, nos défenses immunitaires augmentent. Je ne suis pas psy et ne me définis jamais comme telle. Mais psyché, psukhê en grec, veut dire âme, et dès que l’on touche à la création, on touche l’âme. Je me suis donc toujours tenue sur la crête entre le développement personnel et la création littéraire. Il y a beaucoup d’illusions autour de l’écriture. Il ne suffit pas d’écrire pour intéresser les lecteurs… Par ailleurs, beaucoup d’animateurs d’ateliers d’écriture estiment avoir fait le travail lorsqu’ils ont fait sortir les émotions des participants. Or, c’est justement à ce moment que le travail de mise en forme commence: permettre la verbalisation, trouver des exercices d’écriture qui permettent de mettre ces émotions en mots. Le travail sur le texte va permettre au travail intérieur de se faire. Il m’est arrivé de dire à des participants qu’il y a des choses que l’on ne peut pas résoudre dans un atelier, de leur conseiller d’aller voir un psychiatre.»

Mary Anna Barbey sera le 12 mai à 15 h sur la scène du crime du Salon du livre de Genève pour parler de son nouveau livre, «Swiss Trafic» (Ed. des Sauvages). 

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Keiko Morimoto
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