Le sculpteur vaudoispeuple l’Espace Arlaud de Lausanne de ses bêtes caparaçonnées, trop rêveuses pour être vraiment menaçantes.
L’Espace Arlaud, à Lausanne, c’est un peu le salon des refusés. Il y a quelques mois, Etienne Krähenbühl peuplait le musée de ses sculptures oxydées. Aujourd’hui, c’est le tour de Gaspard Delachaux, également sculpteur, également du Nord vaudois, également sexagénaire, également snobé par les musées officiels. Sans doute parce qu’il est, comme Etienne Krähenbühl, un artiste consensuel qui répond à de nombreuses demandes publiques (administrations, sièges commerciaux, parcs, places, etc.). Et qu’il utilise un vieux médium, la sculpture sur pierre en taille directe, plus guère enseignée dans les écoles d’art, peu en phase avec les techniques, voire les technologies de l’art contemporain. C’est ainsi: à trop œuvrer pour le grand public, on en vient à être méprisé par les gardiens de l’art élitaire.
Si bien que, comme son prédécesseur à Arlaud, Gaspard Delachaux a dû compter sur lui-même pour organiser son exposition lausannoise. C’est-à-dire trouver l’argent, imaginer la scénographie, disposer les lourdes sculptures de pierre, produire un livre en souscription, créer des événements pendant la durée de sa présentation. Une montagne à déplacer, de préférence en pierre bleue.
Ce calcaire riche en organismes fossilisés est le matériau d’élection de Gaspard Delachaux. Il y dégage un bestiaire fantastique, alternant les surfaces brutes et polies. C’est un art qui désigne d’abord sa matière, lourde, dure, sédimentaire, élémentaire. C’est une roche travaillée depuis le Moyen Age, mais qui n’oublie jamais son origine vivante, grouillante, cimentée d’animaux marins primitifs. Des monstres l’ont formée, d’autres monstres en sortent sous le ciseau du démiurge Delachaux. Ils sont un rien menaçants, mais aussi hésitants. Ils sont caparaçonnés, casqués, tapis sous une gangue épaisse. Pourtant, ils aimeraient venir vers nous, être caressés ou adoptés. Le sculpteur leur aménage parfois quelques marches d’escalier. Qui sait, peut-être que la nuit, lorsque le musée Arlaud rentre dans sa propre coque grise et minérale, ils en profitent pour aller faire un tour.
Entre le rugueux et le lisse. L’exposition n’est pas une rétrospective. Aucun rappel n’est fait de l’évolution de cette œuvre au cours des décennies. Ou des accomplissements comme le jardin Mangelune du château de Valangin, habité par une trentaine d’êtres hybrides. Ou les têtes en grès créées pour une tour de la cathédrale de Lausanne.
L’exposition propose plutôt des pièces récentes, les plus grandes en bas, les plus petites plus haut. Certaines ont l’obscurité d’un tombeau: il faut une lampe de poche pour aller les débusquer. D’autres nous regardent en pleine lumière, des barques passent d’une rive à l’autre, de grands dessins couvrent les murs. Ce ne sont pas des croquis, mais des œuvres à part entière, elles aussi chimériques, mais un peu moins intéressantes que les sculptures de pierre au sol.
Gaspard Delachaux aime les contrastes du rugueux et du lisse, du plein et du vide, de l’intérieur et de l’extérieur, du gris noir et du gris clair, des doubles visages à la Janus. Il aime aussi faire danser de légères animations numériques sur ses roches enténébrées. Ou montrer, dans une autre vidéo, la ronde de sangsues stylisées.
L’exposition s’achève tout en haut d’Arlaud par une grande projection au format panoramique. On s’assied dans des chaises longues pour regarder un lent spectacle: des nuages qui passent dans le ciel, de gauche à droite. On y voit l’apparition puis la disparition d’autres monstres, ceux-là furtifs et légers comme des vapeurs.
Espace Arlaud, Lausanne. Jusqu’au 15 juin.
Clik here to view.
