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Poncer le poncif: ces artistes qui se jouent des représentations touristiques

Jeudi, 20 Mars, 2014 - 06:00

Plusieurs expositions montrent combien le tourisme et le déluge d’images qu’il engendre inspirent aujourd’hui les créateurs de forme. Surtout pour éclairer les motivations qui se cachent derrière la prise compulsive de photographies en voyage.

La photographie s’est démocratisée avec l’essor du tourisme, au point que l’une et l’autre forment un couple solidaire depuis plus d’un siècle. Le Kodak Tourist, l’un des modèles les plus populaires de la marque après la Seconde Guerre mondiale, dit cette évidence mieux que tous les discours. Pas de tourisme sans photos, et inversement.

Le phénomène est encore plus étonnant aujourd’hui. Les grands sites du tourisme mondial évoquent des cours collectifs pour photographes amateurs, où chacun cadre ce que l’autre cadre, sur son appareil compact ou son smartphone. Le voyageur arpente le monde d’abord sur son écran de contrôle, se mettant volontiers lui-même en scène pour affirmer avec encore plus de force: «J’étais là.»

Cette production de stéréotypes en masse fascine depuis longtemps les photographes professionnels et les artistes. Ils se l’approprient pour la tourner en dérision, comme Martin Parr, qui a maintes fois saisi les amateurs à l’œuvre. Y compris en Suisse, comme le montrait sa récente exposition au Museum für Gestaltung de Zurich.

Le Suisse Gérard Lüthi fait de même avec plus de mansuétude, que ce soit à Rio, au bord du Grand Canyon, sur la route 66, en Thaïlande. Sur les photos de Gérard Lüthi, les hauts lieux du tourisme s’affichent sur les petits écrans des appareils des voyageurs, créant une vignette à l’intérieur de la grande vignette de l’exotisme organisé. Une sélection de ces clichés de clichés, justement intitulée «CLIC, Klick, click, clique», est à découvrir jusqu’au 20 mai à la Fondation Auer Ory d’Hermance.

Rendre à l’identique. Le musée de Pully explore lui aussi la récupération de l’imagerie touristique par des artistes suisses. C’est une belle exposition aérée sur plusieurs étages et plusieurs sections, dont les intitulés résument les stratégies présentes. «Collections du monde» insiste sur la fabrication à la chaîne d’images semblables. Un touriste n’arrive jamais avec un regard vierge sur le parvis du Trocadéro ou en haut du Pain de Sucre. Il a déjà vu (à la télévision, sur l’internet, un catalogue de voyage) ce qu’il voulait voir et s’appliquera à le rendre à l’identique. C’est ce que montre brillamment Corinne Vionnet dans ses Photo Opportunities, assemblages savants des images d’un même lieu ou du même monument pris par des centaines d’amateurs. Les photos trouvées sur le web sont superposées et retravaillées, le poncif étant poncé jusqu’à donner de spectaculaires tableaux photographiques. Exposée à Pully, son image composite du Cervin l’est aussi à la Biennale de la photo de Liège, dont le titre éloquent est Pixels of Paradise (jusqu’au 25 mai).

La section «Preuves de papier» au musée pulliéran joue sur la caution apportée par la photographie au retour d’un voyage. Comme le suggère avec ironie Romain Mader, qui pose avec des vacanciers sur une plage normande. On n’y voit rien part du principe qu’il y a désormais tant d’images qu’elles rendent le monde opaque. Simon Rimaz le démontre dans une subtile installation de bacs à développement photographique qui, très nombreux, empêchent de bien distinguer une carte postale accrochée derrière eux sur un mur. Mondes factices rend compte des artifices de l’industrie touristique, toujours encline à vendre du rêve. Nicolas Savary pousse à bout cette idée de simulacre en photographiant les toits de Paris, tels qu’imités par le casino-palace Le Paris de Las Vegas.

La proposition la plus stimulante de l’exposition «Do you speak touriste?» est le concours organisé par l’ECAL et le musée de Pully. La sélection de travaux d’étudiants est excellente, à l’exemple des lauréats du concours, Hadrien Häner et Thibault Jouvent. Le premier provoque une syncope visuelle en faisant défiler à toute vitesse des cartes postales de Genève et des timbres du Cervin sur une pellicule super-8. Le second ralentit au contraire ses vidéos des scènes typiques du tourisme suisse (un alpage, un lac, un train, une montagne) au point de ne plus savoir si l’on a affaire à des images fixes ou animées. D’un côté une mauvaise définition, de l’autre une haute définition, mais au final, le même trouble sur la réalité des représentations touristiques, en Suisse comme ailleurs.

Musée de Pully, jusqu’au 11 mai, www.museedepully.ch

 

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Corinne Vionnet
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Thibault Jouvent
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