Dix ans après son fameux «Grey Album», le musicien et producteur défend le deuxième disque de Broken Bells.
Bon, d’accord, le deuxième album solo du talentueux et outrageusement tendance Pharrell Williams est une réussite. Mais au moment où tout ce que la terre compte d’humains connectés à YouTube se déhanche au son de l’extatique Happy, il ne faudrait pas oublier l’autre surdoué de la musique américaine: Brian Burton, plus connu sous le nom de Danger Mouse, qu’il s’est choisi en hommage à une série d’animation british des années 80 – Dare Dare Motus en français.
A ceux qui ont déjà des points d’interrogation à la place des yeux, on rappellera que ce New-Yorkais de 36 ans est lui aussi un producteur plus qu’avisé, mais qui a préféré rester dans les milieux alternatifs plutôt que tenter d’apporter une crédibilité nouvelle, à l’instar du nouveau meilleur ami des Daft Punk, à des pop stars comme Britney Spears ou Justin Timberlake. Gorillaz, Beck, The Black Keys, Sparklehorse et The Rapture ont été produits par Danger Mouse, de même que Norah Jones il y a deux ans et U2 pour un album à sortir dans les mois à venir. Et si Pharrell Williams a reçu en janvier dernier le Grammy Award du producteur de l’année, Burton l’a quant à lui remporté en 2011. Et compte cinq nominations au total dans cette catégorie, contre une seule pour son aîné. Le décor est posé.
Noir et blanc. En 2004, Danger Mouse a cette idée géniale: fusionner le White Album des Beatles et le Black Album de Jay-Z dans un «mashup» qu’il baptise The Grey Album. Il n’en faut pas plus pour que la Toile s’affole, que le musicien devienne instantanément hype. Damon Albarn confie alors les manettes du deuxième album de Gorillaz à l’Américain, avant que celui-ci ne décide de s’associer à un rappeur épris de soul, Cee-Lo Green, pour former Gnarls Barkley. Derrière le très arrondi chanteur, Danger Mouse est l’homme de l’ombre, producteur, compositeur et multi-instrumentiste. Premier album en 2006 et coup de maître: le single Crazy cartonne et un large public découvre enfin son talent immense.
Mais ne parlez à Brian Burton du passé, seuls l’intéressent ses projets actuels. Il ne pense d’ailleurs pas célébrer les 10 ans de son Grey Album; quant à un éventuel troisième disque de Gnarls Barkley, attendu depuis plus de cinq ans, il ne se prononce pas. Joint quelques minutes par téléphone en novembre dernier, Danger Mouse préfère pour l’heure se concentrer sur After the Disco, deuxième enregistrement de Broken Bells, un duo qu’il pilote au côté de James Mercer, chanteur et guitariste du groupe pop The Shins. Inutile non plus de le cuisiner sur sa collaboration avec U2, il ne peut contractuellement rien dire.
Sombre mélancolie. Plus qu’un projet parallèle, Broken Bells permet à Danger Mouse d’explorer un large spectre musical, sur fond de pop épique et de musique de film, lui qui rendait hommage en 2011, sur l’album Rome coécrit avec Daniele Luppi, aux musiques de western spaghetti. Mais lorsqu’on lui parle d’Ennio Morricone ou de John Barry, c’est le nom de Bowie qu’il glisse comme une influence prégnante sur sa manière d’envisager la musique. Il y a en tout cas dans ce deuxième effort de Broken Bells, derrière une sorte de voile qui rend tous les arrangements feutrés mais laisse beaucoup de place aux lignes rythmiques, basse et batterie, un réel sens de la mélodie et de l’espace. Ou comment être à la fois intimiste et grandiloquent.
«Avec James, on travaille vraiment en binôme, explique Danger Mouse, qui considère aujourd’hui le chanteur des Shins comme un de ses plus proches amis. Si on a voulu être plus ambitieux? Je ne sais pas, mais c’est clair que sur cet album, il y a plus de changements de direction, de hauts et de bas.»
Ce n’est pas en quelques questions que l’on va percer le secret du natif de White Plains. D’autant plus qu’il aime visiblement rester mystérieux, ne pas décortiquer sa façon de travailler, et se contente de parler de «sombre mélancolie» pour définir l’ambiance d’After the Disco.
«After the Disco». Columbia/Sony.
En concert le 29 mars à Zurich (Schiffbau) dans le cadre du festival m4music. www.m4music.ch