Barbara Polla publie un essai roboratif, païen et non conformistepour interroger la masculinité.
Médecin, galeriste, écrivain, politicienne… Qui trop embrasse mal étreint? Que l’on se rassure, la vibrionnante Barbara Polla a pris son nouvel objet d’étude en main. Elle publie cette fois un essai sur les hommes, un Tout à fait homme qui fait pendant au Tout à fait femme publié chez le même éditeur, Odile Jacob, en 2012. Elle a demandé à 200 mâles de lui raconter leur virilité. Et essayé de savoir ce qui fait «l’homme», alors (c’est notre avis) que la virilité est aujourd’hui une qualité partagée par les femmes. Et au moment où les études de genre tentent d’expliquer qu’il y a autant de sexes que d’individus. La plupart des personnes interrogées lui ont répondu, en substance, que cela dépendait de ce qu’elles avaient entre les jambes. Ce qui nous fait régresser à la préhistoire, avant Simone de Beauvoir…
Pour Barbara Polla, l’homme est bipolaire: 99% du temps (estimation personnelle), il est homo (c’est-à-dire «flasque», s’adonnant à ses occupations sociales, familiales, politiques, etc.). Le reste de sa vie, il est vir (désirant, en érection). Comme si l’on ne pouvait désirer qu’en bandant… Passons. Or, la société, rappelle-t-elle, boude le vir. Pour permettre à l’homme d’être complètement lui, il faut donc le laisser désirer. Et désirer plusieurs objets. La masculinité, pour l’auteure, a aussi à voir avec le jeu. «C’est que, depuis toujours, l’homme a là, devant lui, un objet – un jouet.» Qu’on le laisse donc jouer.
Icône protectrice. En bonne mère (de quatre filles), l’auteure prend fait et cause pour ce pauvre phallus conspué par l’art, et recense les rares artistes contemporains femmes qui lui font honneur (Michaela Spiegel, Ornela Vorpsi, Sarah Lucas), invitant les autres à le mettre en gloire. Pour que le sexe bandé redevienne «icône, figure religieuse, rassurante, voire protectrice». Prêtresse d’un nouveau culte ithyphallique, elle inviterait presque à arborer les bijoux indiscrets en étendard, un peu à la manière de ces pendentifs que l’on portait dans la Rome antique, pour se prémunir du mal (débonnaires vits munis d’ailes et de pattes).
Gare à la castration du désir masculin, qui crée le macho, et rend certains hommes agressifs et bêtes. La faute à maman aussi. «Les hommes heureux en couple semblent être ceux qui ont réussi à se détacher de leur mère.» Pour revivifier le couple hétéro, l’auteure s’inspire du couple homo, libéré (un autre cliché?). Elle invite les mâles hétéros à faire, eux aussi, leur coming out, pour affirmer leurs désirs («le désir est pluriel ou il n’est pas»).
Avec le même bon sens, le même enthousiasme et le même talent qu’elle déploie à faire des confitures (une de ses autres occupations), Barbara Polla désarme par sa générosité, sa bonté, sa naïveté parfois. Eh bien, malgré notre ironie, nous l’avons trouvée de bonne compagnie. La confidente idéale. Son essai, plus rabelaisien que scolastique, est un guide de vie: sur la liberté de désirer, sur le droit au secret, sur le pouvoir de l’art. Et surtout, il envoie aux orties normes et culpabilités. Voilà qui est bienvenu. Et, littéralement, «bandant». Mais si nous commencions par ne plus nous définir par ce que nous avons «entre les jambes»? Erigé parfois, flasque souvent, n’est-on pas homme de la tête aux pieds, même couché, même «passif» ou détumescent? Impur, et justement, par cela même, «tout à fait homme».
«Tout à fait homme», Odile Jacob, 239 p. Barbara Polla sera l’invitée du «Grand débat» organisé par les librairies Payot et L’Hebdo au Théâtre du Grütli, à Genève, le lundi 31 mars à 19 h.