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Etre ou ne pas être heureux

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Jeudi, 23 Janvier, 2014 - 05:58

Le psychiatre Christophe André publie «Et n’oublie pas d’être heureux», un abécédaire de psychologie positive qui explique pourquoi le bonheur n’est pas un luxe, mais une nécessité.

On l’a longtemps connu rasé et glabre, à la manière d’un moine zen: il est désormais nonchalamment barbu. «C’est plus détendu.» Pionnier de l’usage de la méditation en psychothérapie en France autant que de la psychologie positive, c’est aussi depuis une dizaine d’années l’un des auteurs stars des Editions Odile Jacob. Proche des Matthieu Ricard, Pierre Rhabi et autre André Comte-Sponville, le «Monsieur Bonheur» de l’édition publie Et n’oublie pas d’être heureux, un Abécédaire de psychologie positive qui offre une synthèse personnelle et chaleureuse, impliquée et pédagogique, de trente ans de recherche et de pratique. Rencontre avec un «introverti qui aime communiquer», un «solitaire sociable» qui a choisi un métier thérapeutique, un fils d’athées qui «s’efforce d’être un croyant» parce que c’est «important» sur le chemin du bonheur.

 

Pourquoi avoir titré votre nouveau livre «Et n’oublie pas d’être heureux»? C’est quelque chose que l’on tend à oublier?
L’idée n’est pas d’expliquer aux gens que le bonheur est important. On le sait tous, mais on l’oublie, comme on oublie que le bonheur demande chaque jour un peu de temps, d’attention. Au quotidien, on ne fait pas grand-chose pour se rapprocher de ce qui nous rend heureux. Cela devrait nous déranger davantage d’oublier d’être heureux.

 

A quoi sert le bonheur?
Le bonheur n’est pas un luxe mais une nécessité. Nous en avons besoin: à la fois pour ouvrir les yeux sur la vie et ses beautés, et pour nous aider à faire face au malheur. Le bonheur est un sujet tragique et non rose bonbon. Nous autres humains sommes conscients d’être mortels, et le bonheur est alors le seul antidote possible à la crainte obsédante de la mort, car il offre des bouffées d’immortalité, de temps suspendu. Lui seul donne le goût de la vie, plus que l’argent, la notoriété ou la reconnaissance. Si nous n’avions pas le bonheur, la vie serait insupportable.

 

C’est la leçon de la psychologie positive, que vous pratiquez en pionnier en France depuis trente ans?
La psychologie positive est une réflexion sur le fonctionnement humain optimal, l’étude scientifique de ce qui nous rend plus heureux. Il ne s’agit pas de positiver – ce n’est pas un paravent pour ne pas voir les problèmes. On y a largement dépassé la méthode du pharmacien Emile Coué, à la fin du XIXe siècle. C’est la transposition du concept de «santé active» qui s’impose en médecine: on peut contribuer à rester en bonne santé en adoptant certains comportements. De la même manière, on peut augmenter ses chances de se sentir bien mentalement en pratiquant la méditation, en développant une communication affirmée et non violente avec les autres, en cultivant ses émotions positives, en savourant les bons moments, etc. Le bonheur est un excellent outil de prévention de l’apparition de souffrances mentales ou de leurs rechutes. La psychologie positive n’a pas pour but de nous éviter totalement d’être malheureux, ce serait irréaliste, mais de nous aider à ne pas être inutilement, ou trop longtemps, malheureux.

 

Votre livre n’est pas un essai classique mais un abécédaire. Pourquoi cette forme?
La forme fragmentée crée une lecture active de la part du lecteur, qui entre plus facilement dans le livre en s’appropriant les anecdotes et les réflexions. Elle correspond au rythme du cheminement humain, à son sens de la digression. Et l’abécédaire est la méthode d’apprentissage de la lecture la plus commune! Cette question de l’usage d’un livre m’intéresse depuis longtemps, puisque j’écris ce qu’on appelle des self-help books, des livres dont on pense qu’ils peuvent être des aides importantes pour le lecteur.

 

C’est toute la philosophie de la bibliothérapie, soit la prescription de livres par des médecins, courant très actif dans les pays anglo-saxons. Vous dirigez aussi une collection de Guides pour s’aider soi-même chez Odile Jacob. Un livre peut remplacer un médicament?
Les self-help books peuvent être de bons relais des conseils du médecin. Ils exigent que l’on soit clair, précis, sincère. Plus je parle d’ailleurs de moi, plus les lecteurs me remercient: ils constatent que j’ai été confronté aux mêmes problèmes qu’eux, que je ne suis pas un surdoué du bonheur, et que je suis le premier utilisateur des méthodes que je conseille. Les livres prescrits par les médecins ne sont pas choisis au hasard, ils sont évalués en termes de «service psychologique rendu». Un livre ne remplace pas la relation d’aide mais peut servir de trait d’union, inciter à faire un travail sur soi, dédramatiser l’image que l’on a de la psychiatrie. Mes livres sont souvent prescrits par d’autres médecins. Ce livre est dédié à Christian Bobin qui est un grand bibliothérapeute. Ses écrits sont salvateurs.

 

«Le bonheur s’apprend», répétez-vous. Est-ce enfin pris au sérieux?
Pas encore. La France et l’Europe sont dans une tradition poétique et philosophique qui affirme l’inverse. Les Français, qui valorisent tant l’intellect, ont du mal avec la psychologie positive. Nous préférons ricaner que tester, être les penseurs et commentateurs du bonheur plutôt que ses artisans et pratiquants… Or, si nous nous contentons du bonheur qui nous est envoyé par la grâce divine, c’est bien pour les surdoués, mais vous et moi avons intérêt à faire des efforts. Le savoir et les concepts ne suffisent jamais; pour progresser, il faut pratiquer. Le bonheur est au départ une émotion, et il a donc à voir avec le corps. A ce titre, son apprentissage obéit aux mêmes règles que l’exercice physique: pratiquer des exercices dans le but de muscler nos capacités à héberger, amplifier, savourer des ressentis émotionnels positifs.

 

Ne pensez-vous pas que nous vivons du coup sous le joug d’une dictature du bonheur?
Je ne pense pas qu’il y ait de dictature du bonheur. Dans la publicité et l’industrie du divertissement, sans doute, mais d’un point de vue personnel, on constate plutôt une offense au bonheur. Comment se dire heureux alors qu’il y a la crise? Or, vouloir être heureux n’a rien d’un acte égoïste. Au contraire, cela nous rend capables de davantage d’empathie et de générosité.

 

Un récent sondage indique que les Suisses s’estiment nettement plus heureux que les Français, alors que le niveau de vie est comparable pour ces pays voisins. Comment expliquer cette différence?
En France, il y a une attitude snob avec le bonheur. On aime râler et ridiculiser la recherche du bonheur en l’assimilant à de la naïveté ou de la mollesse. Cela dit, les Français sont malheureux de l’évolution de leur société, de l’importance grandissante des inégalités, de la manière dont les riches s’affichent. Je suis allé voir au Danemark ce qui faisait que les gens s’y disaient très heureux. J’ai été frappé par le fait que les inégalités, si elles existent, y sont peu visibles, que l’ostentation n’est pas de mise. L’augmentation des richesses d’un pays ne se traduit pas nécessairement par une amélioration du sentiment de bien-être de ses habitants. La justice, l’égalité et le sentiment de liberté sont plus importants. La démocratie est ainsi un facteur important: se sentir libre d’exprimer son avis, et avoir le sentiment qu’il compte, facilite le bonheur. On a mesuré que les cantons suisses où il existe le plus grand nombre de votations sont aussi ceux dont les habitants se sentent le plus heureux.

Deux mots reviennent souvent dans votre livre, deux mots-clés de votre enseignement et de votre pratique: l’attention et la conscience…
L’attention est très importante car je peux être dans une situation agréable sans m’en rendre compte, et passer à côté parce que je rumine mes soucis. C’est une capacité que l’on peut entraîner. Il existe une attention dite «réactionnelle» qui est très importante mais ne demande pas d’effort: c’est celle qui entre en scène lorsque vous recevez un mail, que le téléphone sonne. Il y a dans notre société vol d’attention, notre attention est surexploitée par la télévision, la publicité, le bruit dans la rue. On fait de nous des «serial zappeurs» malgré nous, et au détriment de l’attention dite «décisionnelle», celle que l’on active lorsqu’on décide de porter son attention sur quelque chose d’important pour nous. Cette attention est menacée dans notre société, alors qu’elle est indispensable à notre bonheur. Nous sommes sans arrêt dans des stimulations, des distractions, des actions, des interruptions. Le bonheur, c’est du bien-être dont on prend conscience. Soyons attentifs et conscients de notre chance d’être vivants!
Le psychiatre Christophe André publie «Et n’oublie pas d’être heureux», un abécédaire de psychologie positive qui explique pourquoi le bonheur n’est pas un luxe, mais une nécessité.

«Et n’oublie pas d’être heureux».
De Christophe André. Odile Jacob, 390 p.


Christophe André

1956 Naissance à Montpellier d’un père marin et d’une mère institutrice. Marié, trois filles.
1980 Doctorat en médecine à Toulouse.
1992 Arrivée à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, au sein du service de santé mentale et de thérapeutique.
1999 L’estime de soi (Odile Jacob).
2001 La force des émotions (id).
2003 Vivre heureux (id).
2009 La pleine conscience (id).
2011 Méditer, jour après jour (L’Iconoclaste).

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