Primé à Cannes, «Fruitvale Station» raconte le dernier jour d’un jeune Afro-Américain victime d’une bavure policière. Rencontre avec son réalisateur, Ryan Coogler.
Le fait divers est tragique. Révoltant. Il se déroule sur les quais de la station de métro Fruitvale, à Oakland, dans la banlieue de San Francisco. On est le 1er janvier 2009, peu après minuit. Oscar Grant, 22 ans, a pris place avec quelques amis dans une rame offrant une vue imprenable sur les feux d’artifice qui illuminent comme à chaque réveillon la baie de la cité californienne. La nuit est belle, riche en promesses.
Fraîchement sorti de prison, Oscar est bien décidé à devenir un homme meilleur. Mais voilà que ce passé qu’il souhaite enterrer le rattrape. Un homme le reconnaît et le provoque. Oscar reste calme, mais les esprits s’échauffent. Une équipe de policiers chargée de la sécurité dans les transports rapides desservant la baie de San Francisco intervient et arrête arbitrairement quelques personnes, dont Oscar. Sur le quai, face à la colère du jeune homme, qui reproche aux forces de l’ordre leur brutalité outrancière, un policier perd son self-control et dégaine son arme. Sans s’en rendre véritablement compte, comme le soulignera l’enquête, il tire. Oscar mourra sept heures plus tard. Il était Noir, son assassin Blanc.
«Lorsque j’ai eu connaissance de ce drame, j’ai été choqué, se souvient Ryan Coogler. Puis j’ai ressenti de la colère, de la confusion. Je m’imaginais à la place d’Oscar. Vous venez de Suisse? Eh bien, c’est comme lorsque votre équipe de foot marque un but et que vous vous sentez euphorique, puis que vous avez mal lorsqu’elle perd. C’est un peu comme si cela vous arrivait personnellement.»
Il faut dire que, en plus d’être Afro-Américain, comme Oscar, Ryan Coogler est né la même année que lui, en 1986. La nuit du drame, il était proche de la station de Fruitvale. Quelques années plus tard, au sortir de ses études de cinéma, c’est sans hésiter qu’il décide de consacrer son premier long métrage à cet événement. Dévoilé en mai dernier à Cannes, Fruitvale Station a reçu le prix de l’Avenir dans la section Un certain regard.
Vraies images. «J’essaie de faire des films avec des choses qui résonnent en moi, qui me frustrent, que je ne comprends pas, poursuit Ryan Coogler, dont la colère tranche avec le soleil qui réchauffe la Croisette ce jour-là. A travers mon film, j’ai voulu poser des questions.» Pour ce faire, le jeune réalisateur a décidé de raconter la dernière journée d’Oscar. La façon qu’il a de le suivre caméra à l’épaule rappelle le cinéma de Cassavetes ou celui de Ken Loach. On peut en revanche émettre quelques réserves quant au suspense qu’il met en place lorsqu’il filme la famille et les proches d’Oscar dans les couloirs de l’hôpital où la victime mourra. «Mon but était simplement de mettre le spectateur dans la perspective de la famille, se défend le réalisateur, de lui donner l’impression d’en faire partie.»
Plus intéressant, le prologue propose de vraies images, filmées ce funeste 1er janvier à l’aide de téléphones portables. Il y a dans les nouvelles technologies, comme on les appelle encore, du bon et du mauvais. Le réalisateur le souligne, regrette que trop souvent deux jeunes amoureux soient vissés sur les réseaux sociaux plutôt que de se regarder dans les yeux, mais leur reconnaît cette vertu: chacun sait, aujourd’hui, qu’il peut être filmé n’importe où, n’importe quand. Plusieurs vidéos d’amateurs ont ainsi pu être utilisées dans le procès qui a suivi la mort tragique d’Oscar Grant.
De Ryan Coogler. Avec Michael B. Jordan, Melonie Diaz, Octavia Spencer et Chad Michael Murray. Etats-Unis, 1 h 25.