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Myriam Anissimov: mal de mère

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Jeudi, 9 Janvier, 2014 - 05:54

Myriam Anissimov, née en 1943 dans un camp de transit en Valais, raconte dans «Jours nocturnes» ses 20 ans bohèmes sur fond de relation passionnelle avec sa mère.

Myriam Anissimov est née en 1943 à Sierre, en Valais, dans un camp de transit où ses deux parents, juifs polonais arrivés à Lyon dans les années 30, ont trouvé asile lorsque les rafles sont devenues trop intenses. A l’âge de 6 mois, elle tombe malade. Amenée mourante à l’hôpital cantonal de Lausanne, elle est sauvée par une diaconesse nommée Blanche Sterki, qui la couve comme sa fille. Myriam survit. Plus d’une année plus tard, sa mère a l’autorisation de venir la chercher. La France libérée, les parents de Myriam s’enfuient de Suisse pour retourner à Lyon où Myriam grandira. Tout le reste de la vie de Myriam Anissimov découle de ces quelques lignes biographiques.

Comédienne, chanteuse – Grand Prix du disque de l’Académie Charles Cros en 1969 pour un disque où elle chante les poèmes d’Albertine Sarrazin –, journaliste musicale pour de nombreux magazines, biographe de Primo Levi, Romain Gary et Vassili Grossman, elle est écrivaine depuis la parution, en 1973, de Comment va Rachel? Ses dix romans explorent tous avec une mélancolie obstinée, acidulée et tragicomique la mythologie familiale héritée de l’obscure Pologne et interroge son héritage franco-yiddish avec passion et fidélité. Dans la plus stricte intimité racontait l’enterrement de Blanche Sterki. Le Marida plongeait dans l’atelier de confection de son père, écrivain installé comme artisan tailleur, et Sa Majesté la Mort retrace le trajet de ses parents, du shtetl polonais de naissance de son père jusqu’aux camps nazis où toute sa famille paternelle a péri.

L’amour vache. Jours nocturnes empoigne sa jeunesse et sa relation avec sa mère avec une vigueur presque stupéfaite de ce qui naît ligne après ligne. On y voit une jolie gamine maigre et indépendante quitter Lyon pour Paris tenter de se faire une place dans le monde, coucher avec des hommes «sans amour» en «attendant l’amour» tout en se démenant comme une diablesse avec la relation fusionnelle d’amour-haine qu’elle entretient avec sa mère.

Jours nocturnes est un livre formidable de résilience et de lucidité familiale porté par une foi contagieuse en la vie. Myriam habite un studio sur le sinistre boulevard Gouvion-Saint-Cyr, pense au suicide tous les deux jours, lit Le Monde dans les cafés pendant des heures, débarque parfois chez sa mère pour manger un repas chaud et se faire insulter à cause de cette envie idiote de faire l’artiste. Un producteur qui lui a promis la gloire occupe son esprit et son lit jour et nuit. Elle fréquente la bohème artistique des années 60, se retrouve dans la chambre enfumée de Leonard Cohen, se fait offrir une chanson par Patrick Modiano et, surtout, rêve de théâtre.

«Ma mère n’aurait jamais supporté ce livre.» Maintenant que, sénile, elle a perdu sa lucidité, la fille ose écrire sur «elle, déçue de moi depuis ma naissance, et moi, déçue d’elle depuis ma naissance». Pendant quarante ans, Myriam a appelé sa mère tous les jours. «Et tous les jours je pleurais en raccrochant. C’était l’amour vache. Mon mari n’en pouvait plus. J’ai commencé une psychanalyse, mais j’avais peur du vide qui surgirait si je désinvestissais cette relation. Finalement, lorsque j’ai réussi à désinvestir, elle est allée mieux aussi.»

Les hommes. Jours nocturnes est né de l’envie d’écrire sur la libération des filles qui a accompagné Mai 68. «Les hommes représentaient la liberté pour la fillette que j’étais. Ils m’ont toujours fascinée. A 14 ans, j’étais délurée. A 15 ans, j’ai explosé. C’était dangereux, on était dix ans avant la pilule.» Elle rêve de théâtre: elle fera de la chanson puis des livres. «Le théâtre a changé ma vie. Mais la brutalité du milieu est terrible. J’étais trop fragile. Pendant des années, je ne suis pas allée au théâtre tant c’était douloureux. Quant à la chanson... Les producteurs voulaient du yéyé et je faisais de la chanson à texte française…»

Cette jeune fille qu’elle était, elle est à la fois «dedans et dehors» d’elle. «Romain Gary me disait «J’ai 18 ans», alors qu’il en avait 65. C’était vrai, je le sais maintenant. A 20 ans, j’étais aventureuse. Je savais que j’avais un destin. Il m’arrivait des trucs sans arrêt. J’avais une force de destruction et une force de vie très fortes en moi. La violence qui m’habitait se résolvait dans un lit.»

Mémoire en héritage. Cette force de destruction, elle en est convaincue, vient de la Shoah. «Mon grand-père a été fusillé, ma grand-mère est morte en camp. Du côté de ma mère, ils sont tous morts gazés et deux de mes oncles ont été fusillés adolescents. La génération me précédant a été décimée. Mes parents sont des survivants.» Elle en est convaincue aussi, la mauvaise relation entre sa mère et elle vient de la culpabilité de l’une d’avoir rendue malade l’autre, alors bébé, en l’amenant dans le camp-hôpital où son père était soigné. «Elle ne m’a avoué ce secret qu’à ses 80 ans…»

Moteur narratif génial, l’écrivaine n’écrit pas «ma mère» mais «ma petite maman», instillant page après page un climat paradoxal de tendresse et de terreur. Derrière la mère, derrière la fille pour qui «l’amour est la plus grande affaire de la vie», le père – mort dans un accident de voiture l’été 1957, manque à compenser pour l’éternité.

Naviguant aujourd’hui entre Cahors et Paris, mariée depuis 1982 au chef d’orchestre Gerard Wilgowicz, elle se déclare «écrivain yiddish en langue française». «Je suis héritière du monde yiddish. On peut même dire que je n’écris qu’un seul et même livre depuis quarante ans. J’ai deux langues dans ma tête. Mon corps entier se souvient et ressent le yiddish. Le français est ma culture, la langue de l’intellect.»

A l’âge de 26 ans, après de longues recherches, Myriam a retrouvé Blanche Sterki à la Communauté des diaconesses de Saint-Loup, à Pompaples. Un dimanche, elle a ainsi vu une femme en blanc courir vers elle depuis le fond de la cour. «Je t’ai reconnue», dira la femme. A l’enterrement de Blanche, il y a quelques années, Myriam et sa mère sanglotaient «comme des veaux» devant les yeux ébahis de la famille de la diaconesse, qui ne les avait jamais vues. «Blanche disait «ma fille» quand elle parlait de moi.» Cheveux noirs, yeux noirs, frange sage, bottines et blouson de cuir, Myriam Anissimov pleure quand elle parle de Blanche.


«Jours nocturnes». De Myriam Anissimov. Seuil, 222 p.

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Jacques Robert, Gallimard
John Foley
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