Dans «Cinq vivants pour un seul mort», Markus Festinovitch se jetait par la fenêtre alors qu’il visitait un appartement avec sa maîtresse. Dans Monsieur et Madame Rivaz, c’est Alexis Berg, organisateur de croisières en Méditerranée, qui fait le grand saut, et meurt après quelques jours de coma et autant de visites de la narratrice, par ailleurs son amante fugace.
Dix ans après la parution de son premier roman, L’homme interdit, c’est une fantastique histoire à tiroirs que nous livre l’écrivaine romande Catherine Lovey, 49 ans, par ailleurs journaliste, économiste et criminologue. Celle de la narratrice, jeune femme indécise et empathique, qui se retrouve à remplacer son amie Laetitia pour le job d’accompagnatrice de croisière qui déclenchera la suite des aventures que l’on lit. Celle d’Hermine et Juste Rivaz, vieux couple de montagnards sages et affectueux qui refuse poliment mais fermement de faire la croisière que leur fils leur a offerte. Celles qu’Hermine et Juste racontent à la narratrice qui se prend d’amitié pour eux, de leur fils Jonas qu’ils ne voient plus ou des plats qu’Hermine cuisine en cachette des services sociaux pour les malades du village.
Monsieur et Madame Rivaz se place sous le signe de L’homme sans qualités de Musil, avertissant par là qu’il entreprend de mettre en scène en les aimant les gens dits sans qualités, les «vouzemoi» très normaux sur lesquels les fonctionnaires obtus et les petits chefs crient par habitude. Mais aussi qu’il entend jeter un regard sans complaisance sur notre étrange façon de vivre. Mission accomplie: c’est un très beau roman, sans doute son plus abouti, foisonnant et émouvant, dense, épique, original et drôle, que nous livre Catherine Lovey.
D’une humanité folle, la romancière maîtrise avec subtilité sa narration complexe. Et glisse ses personnages dans le vaste fleuve d’une réflexion sur la dignité humaine, le libre arbitre et la résistance à l’imbécillité ambiante. Ça se déguste évidemment avec une petite cuillère plutôt qu’à la louche, ça irrigue le cerveau autant que le cœur, et c’est superbe.