Le botaniste Francis Hallé est le guide d’«Il était une forêt», tourné entre le Pérou et le Gabon. Rencontre.
Quand on demande à Francis Hallé pourquoi il s’est pris de passion pour les forêts équatoriales, il sourit, amusé: «Quand on se passionne pour les plantes, c’est normal d’aller là où il y en a le plus.» Diplômé de la Sorbonne, le botaniste de 75 ans se souvient que, au début de sa carrière, «il y en avait partout. Je travaillais beaucoup en Afrique, où toute la forêt était primaire. Et on savait que c’était pareil en Amérique du Sud, en Asie et en Mélanésie. Si j’avais dit qu’au cours de la durée de ma vie tout cela allait disparaître, on m’aurait pris pour un fou. D’ailleurs, je ne le savais pas moi-même.»
C’est au début des années 80 que le Français prend conscience que ces forêts qui le fascinent tant sont menacées. Il ressent alors le besoin de se lancer dans l’aventure d’un film. Mais le monde du cinéma lui est étranger. Il rencontre plusieurs jeunes réalisateurs enflammés, mais qui ne parviennent pas à lever les fonds nécessaires. Et lorsqu’il croise enfin la route d’un cinéaste-producteur de renom, Jacques Perrin, celui-ci s’apprête à réaliser Océans et doit décliner la proposition.
Mais Francis Hallé est patient. Tout en continuant à étudier les forêts tropicales et en entretenant sa passion pour ce qu’il appelle l’architecture des grands arbres, «qui se développent selon un plan génétiquement défini», il garde en tête l’idée d’un documentaire. Et voilà qu’un beau jour il rencontre Luc Jacquet. Il convainc alors son compatriote, qui jusque-là s’est distingué dans le cinéma animalier (La marche de l’empereur, Le renard et l’enfant), de le suivre au Pérou et au Gabon, afin de raconter l’histoire d’une forêt équatoriale, de ses premières repousses sur un sol nu, ravagé par l’homme, à sa recolonisation.
Une histoire qui dure sept siècles, mais que les deux hommes nous content en à peine plus d’une heure quinze. Le résultat s’appelle tout simplement Il était une forêt. Et il s’agit d’un documentaire d’une ahurissante beauté, une œuvre à la fois didactique et poétique – quelle merveilleuse idée d’animer les dessins de Francis Hallé pour montrer comment vivent ces arbres majestueux, ces êtres immobiles qui ont développé de redoutables stratégies pour survivre.
Sciences et philosophie. Bien que ces écosystèmes soient en danger, le film n’adopte pas un point de vue pessimiste. On y parle régénérescence et non destruction. C’était le but de Francis Hallé: «J’en ai marre de l’écologie culpabilisatrice et moralisatrice. En plus, on sait que cela ne fonctionne pas. Je viens de revoir Home (de Yann Arthus-Bertrand, ndlr), et j’ai l’impression d’avoir mangé un truc pas frais, ça m’a mis mal à l’aise physiquement. Ce film nous rend responsable de choses qu’on ne connaît même pas, ce qui est insupportable.»
De même, le botaniste ne supporte pas la manière dont l’imaginaire collectif représente la forêt tropicale comme un endroit hostile: «Ce sont des poncifs qui datent de l’époque coloniale, il est temps de s’en débarrasser! Ça m’a fait plaisir de voir Luc Jacquet entrer dans ces forêts et s’y sentir bien.» Francis Hallé, lui, ne se sent jamais aussi bien que lorsqu’il est au cœur de la canopée, au sommet des forêts, là où la biodiversité est la plus grande. «On nous demande parfois si on a trouvé des espèces nouvelles là-haut… Excusez-moi, mais ça nous fait rigoler. Le problème, notamment avec les insectes, c’est d’en trouver une qui ne soit pas nouvelle!»
Lorsqu’on lui souffle enfin qu’il nous semble autant philosophe que scientifique, il acquiesce, satisfait: «Dans le métier, c’est presque une injure. Moi, je le prends comme un compliment, et je me méfie même des scientifiques qui ne s’intéressent pas à la philosophie. Car c’est ce qui donne du sens à l’existence. Franchement, qu’est-ce qu’une recherche scientifique totalement dépourvue de philosophie?»
De Luc Jacquet. Avec Francis Hallé. France, 1 h 18. Un beau livre ainsi que plusieurs ouvrages pour enfants sont édités par Actes Sud.