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Ils ont fait la légende du Ritz

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Jeudi, 18 Février, 2016 - 05:47

 César Ritz

Lorsqu’il achète l’hôtel particulier du 15, place Vendôme, en 1896, pour en faire son premier établissement en nom propre, César Ritz (ici avec sa femme) a 46 ans et il est déjà célèbre. Le modeste Haut-Valaisan devenu prince des hôteliers fait exploser les bénéfices des établissements dont il assure la direction. Son ami le négociant en alcools Marnier-Lapostolle n’hésite pas à devenir son premier bailleur de fonds. Perfectionniste et hyperactif – il change de costume quatre fois par jour –, Ritz rencontre un succès immédiat. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à faire des allers-retours à Londres, où il ouvre le Carlton en 1899.

Est-ce sa boulimie de travail qui le perd? En 1902, Edouard VII lui confie l’organisation de sa fête de couronnement mais, deux jours avant la date, il tombe malade et tout est reporté. César Ritz s’effondre en pleine salle à manger du Carlton. Il ne retrouvera jamais ses facultés et mourra seul dans une clinique psychiatrique de Küsnacht, en 1918. Piloté par sa veuve Marie-Thérèse, le «paquebot Ritz», lui, vogue vers ses succès futurs. Aujourd’hui, la chaîne Ritz-Carlton, rachetée par un investisseur américain en 1927, constitue une entité séparée du Ritz de Paris.


Marcel Proust

Il assiste à la grande fête d’inauguration de l’hôtel, le 1er juin 1898. Le Tout-Paris est là, à commencer par Sarah Bernhardt, maîtresse du chef des lieux, Auguste Escoffier. Ardente dreyfusarde, la grande actrice donne le ton: le Ritz deviendra le rendez-vous des modernes. Pour l’heure, le monde d’hier et celui de demain se côtoient sous les lustres flamboyants du Ritz. Le tsar de Russie est là, mais aussi la comtesse de Pourtalès, Robert de Montesquiou et la plupart des personnages d’une aristocratie déclinante que Proust (ici sur un canapé du Ritz) immortalisera dans A la recherche du temps perdu. Le restaurant de l’hôtel devient la cantine de l’écrivain: quand il n’y dîne pas, bichonné par Olivier, le maître d’hôtel, il se fait livrer, par ses serveurs préférés (les plus mignons), des repas à domicile. En 1920, c’est au Ritz que Proust fête son prix Goncourt. Et lorsque, un jour de novembre 1922, il sent la mort le gagner, il envoie son chauffeur Odilon chercher «une bière fraîche au Ritz».


Luisa Casati

On l’appelle «la Méduse des grands hôtels» à cause de sa passion pour les serpents. Dans la suite où elle demeure au Ritz dans les années qui précèdent la Grande Guerre, la marquise romaine cohabite avec ses guépards et un boa constricteur qu’Olivier, le maître d’hôtel, est chargé d’alimenter en lapins vivants. Cheveux flamboyants, pupilles dilatées à la belladone, valets nus enduits d’or, audaces stylistiques extrêmes, la Casati a incarné le surréalisme et fasciné Picasso, Cocteau et d’autres. Les fêtes qu’elle a données dans sa suite parisienne sont entrées dans l’histoire. Elles ont inspiré une longue lignée d’illustres excentriques, volontiers américaines et milliardaires.


Ernest Hemingway

Dans les années 1920-1930, le Ritz devient un haut lieu de la vie littéraire américaine. Grâce à un taux de change avantageux, les jeunes talents de la Lost Generation peuvent se permettre d’y faire de longs séjours et marquent les années folles de leur empreinte cosmopolite. Francis Scott Fitzgerald, mort en 1940, n’y reviendra pas. Mais le correspondant de guerre Ernest Hemingway (à droite) n’aura rien de plus pressé, à la Libération, que de se glisser «dans l’un de ces immenses lits du Ritz [avec] un traversin de la taille d’un zeppelin». Il est en compétition avec le photographe Robert Capa (à gauche): c’est à qui arrivera le premier à l’hôtel.

«Papa» Hemingway gagne la course et, le 25 août 1944, déboule, chemise kaki et pistolet à la ceinture, pour «libérer le Ritz». Le directeur, Claude Auzello, l’accueille sur le perron, aussi ravi qu’imperturbable: «Bien entendu, Monsieur Hemingway. Auriez-vous toutefois l’extrême amabilité de bien vouloir déposer votre arme à l’entrée, s’il vous plaît?» Les Allemands étant déjà partis, «papa» libère surtout les caves. Claude Auzello lui annonce fièrement qu’il a réussi à sauver les premiers crus. Heming­way siphonne le Cheval Blanc comme du sirop.


Hans Franz Elmiger

Petit-fils du principal actionnaire du Ritz, Maximilien-Alphons Pfyffer d’Altishofen, Hans Franz Elmiger est gérant en 1940, lorsque le directeur, Claude Auzello, est mobilisé. Elmiger se retrouve aux commandes, aux côtés de la veuve du fondateur, Marie-Louise Ritz. Tous deux sont citoyens suisses, ce qui permet à l’hôtel de jouir d’un statut spécial: exceptionnellement non réquisitionné, il fait office de terrain neutre. A l’image de la France, l’établissement est coupé en deux: dans une aile logent les militaires allemands, officiellement hôtes payants; dans l’autre, les civils, principalement français. Tout en correction et en neutralité, Hans Franz Elmiger inspire confiance aux nazis et use intelligemment de sa position. Sans être un résistant actif, il accepte de cacher quelques fugitifs dans ses chambres de bonne. Plus déférente envers l’occupant, Marie-Louise Ritz n’a pas pris ce genre de risque.


Hermann Göring

Le 1er septembre 1940, le bras droit d’Adolf Hitler (ici à l’entrée de l’hôtel) prend ses quartiers dans la suite impériale du Ritz. Il y fait installer une baignoire à ses dimensions, géante: le général de la Luftwaffe est morphinomane et son médecin lui a prescrit une cure à base de piqûres suivies de longs bains. Göring est aussi un fou de luxe et de pierres précieuses. Il s’est fait façonner un bâton de maréchal serti de diamants Cartier et, dans ses placards, les employés trouvent des robes de chambre ornées d’hermine et des sandales serties de pierreries. Les ordres du Führer sont clairs: la fête doit continuer à Paris, et le cœur de Paris, c’est le Ritz.

Göring ne se fait pas prier, pas plus qu’une partie de l’élite française, qui ne voit aucune raison de renoncer à ses dîners place Vendôme. Il y a là Paul Morand et sa femme, la princesse Soutzo, Sacha Guitry, Serge Lifar et bien d’autres. Qui d’autre? L’auteure de 15, place Vendôme, Tilar Mazzeo, a longuement cherché, aux Archives nationales, les registres du Ritz sous l’Occupation. Ils demeurent introuvables.


Franck Meier

«Un bon barman doit vraiment posséder toutes les qualités d’un diplomate et quelque chose de plus.» Raie au milieu et mine imperturbable, Franck Meier, citoyen autrichien d’origine juive, a quelque chose de plus: autour de ses célèbres cocktails et sous le nez de la Gestapo a pris forme le complot contre Hitler. Le barman ne se contente pas de fermer les yeux: il fait passer des messages à la résistance allemande et couvre ses employés complices des réseaux. Car, durant l’Occupation, le Ritz a aussi été un important foyer d’espionnage et de résistance. Sous l’œil complice de l’impeccable Franck Meier. Et avec la participation active de deux personnages clés de l’établissement: le directeur, Claude Auzello, agent britannique, et sa femme, Blanche, arrêtée et torturée par la Gestapo. Tout ce monde n’a qu’un mot d’ordre: chut! Surtout que Marie-Louise ne se doute de rien.


Coco Chanel

Son modeste atelier de la rue Cambon, voisin de l’entrée arrière du Ritz, a vite décollé: depuis le début des années 1930, Gabrielle Chanel a élu domicile dans un appartement du palace qui restera, malgré les interruptions, le «chez elle» de sa vie. En 1940, Chanel ferme sa maison de couture mais sa parfumerie prospère: les Allemands se ruent sur son N° 5. La légende du Ritz retient l’image irrésistible de Mademoiselle descendant à la cave durant les bombardements: suivie de sa couturière, qui porte son masque à gaz sur un coussin de satin. Il y a des souvenirs plus sombres: Chanel s’est ouvertement affichée avec son amant nazi, Hans von Dincklage.

Etait-il un agent double comme elle l’a affirmé ensuite? Rien ne le prouve. Elle-même ne s’est-elle rendue coupable que de «collaboration horizontale», comme Arletty, ou a-t‑elle espionné pour les nazis? En tout cas, elle a cherché à tirer parti des lois antisémites pour dépouiller ses associés juifs de la majorité détenue dans sa maison de parfums. A la Libération, Mademoiselle sauve sa peau grâce à son amitié avec Churchill. Fin des années 1950, elle est de retour au Ritz. Au Ministère de la justice, son dossier a disparu. Et le nouveau spa du Ritz rénové devrait porter son nom.


Dodi Al-Fayed et la princesse Diana

Il était l’aîné chéri de son milliardaire de père, Mohammed Al-Fayed. Celui-là même qui a racheté le Ritz en 1979 aux héritiers du fondateur. C’est dans la suite impériale du Ritz que Dodi et sa maîtresse, Lady Diana (ici dans l’ascenseur de l’hôtel), ont dîné le 31 août 1997, avant de monter dans la voiture, conduite par un employé de l’hôtel, qui s’écrasera contre un pilier du pont de l’Alma. Après son rachat, Mohammed Al-Fayed avait ordonné une rénovation somptueuse de l’établissement, réputé pour abriter la plus belle piscine de Paris. A la suite de la mort de son fils, le riche Egyptien aurait négligé le Ritz et tardé à entamer de nouveaux travaux. Le Tout-Paris attend sa réouverture avec ferveur.

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Rue des Archives, Tallandier
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Cécil Beaton
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