Cate Blanchett est à l’affiche de l’excellent «Blue Jasmine».Comme tant d’actrices avant elle, elle a reçu du cinéaste new-yorkais un rôle en or.
De nombreuses actrices se plaignent du manque de propositions intéressantes. Les comédiennes sont encore trop souvent confinées dans des seconds rôles, jouent plus les faire-valoir et les «femmes de» que les héroïnes flamboyantes. Jacqueline Bisset nous le disait encore récemment, lors de son passage au Festival de Locarno. Mais il est des réalisateurs, heureusement, qui ont fait des femmes le moteur de leur cinéma. George Cukor, par exemple, n’a cessé d’interroger la féminité, comme on a pu le voir dans la rétrospective montée par la manifestation tessinoise et la Cinémathèque suisse, où elle est actuellement présentée.
Lorsqu’on réfléchit à un autre homme metteur en scène ayant écrit de beaux rôles féminins, on pense instantanément à Woody Allen. Il est d’ailleurs révélateur que le 43e long métrage de cinéma du prolifique New-Yorkais, Blue Jasmine, contienne dans son titre le prénom de son héroïne. C’est même la sixième fois, après Annie Hall (1977), Hannah et ses sœurs (1986), Alice (1990), Melinda et Melinda (2004) et Vicky Cristina Barcelona (2008), qu’Allen annonce clairement qu’une femme sera au cœur de son récit. Dans une moindre mesure, on pourrait encore citer Une autre femme (1988) ou Maris et femmes (1992). Mais, finalement, pourquoi Allen s’intéresse-t-il autant au sexe dit faible, notion d’un autre temps qu’il a avec beaucoup de pertinence toujours remise en cause?
«Il est bien naturel qu’un homme pense aux femmes, les décrive et cherche à les connaître», répond-il au journaliste italien Giannalberto Bendazzi, lorsque celui-ci lui pose la question vers le milieu des années 80. «Bergman aussi fait constamment des films sur elles. (…) Je crois que lorsque je dois parler de problèmes humains, il me faut les revêtir de vêtements féminins. Cela a sans doute quelque chose à voir avec mon enfance, car dans ma famille, il n’y avait que des femmes, à l’exception de mon père.» Si l’on voulait se lancer dans un portrait psychologique du cinéaste, on pourrait dès lors se demander si ce n’est pas à cause de cet univers majoritairement féminin dans lequel il a grandi qu’il a eu une vie sentimentale aussi compliquée: trois mariages, avec Harlene Susan Rosen (1956-1962), Louise Lasser (1966-1970) et Soon-Yi Previn (depuis 1997), cette dernière n’étant autre que la fille adoptive de Mia Farrow, comédienne avec laquelle il avait précédemment entretenu une longue relation amoureuse et cinématographique, tout comme avec Diane Keaton une décennie plus tôt.
Annie, Vicky et les autres. Lorsque, en 1986, Allen décide de raconter l’histoire de Hannah et de ses sœurs, c’est parce qu’il estime que trois femmes discutant ensemble ont forcément des conversations plus intéressantes que trois hommes. Dans son cinéma, les hommes se plaignent beaucoup et sont souvent instables, à l’image des nombreux personnages qu’il a incarnés; tandis que les femmes, généralement plus fidèles, sont souvent le socle sur lequel reposent les structures tant familiales que sociétales et professionnelles. La femme n’est en tout cas jamais un simple faire-valoir. Lorsque le héros est un homme, il ne pourrait accomplir sa «quête», terme désignant depuis Homère l’enjeu au cœur de tout récit, sans une femme. C’est évident dans de nombreux films, de Woody et les robots (1973) à Minuit à Paris (2011) en passant par Meurtre mystérieux à Manhattan (1993) ou Escrocs mais pas trop (2000).
On pourrait également parler des femmes indépendantes, dont Annie Hall est la représentation canonique, des beautés incandescentes, les incarnations les plus récentes étant Scarlett Johansson et Penélope Cruz, au point qu’elles se sont retrouvées à l’affiche d’un même film (Vicky Cristina Barcelona), ou encore des intellectuelles, à l’image de la professeure de philosophie jouée par Gena Rowlands dans Une autre femme. Lorsque Cate Blanchett affirme à qui veut l’entendre que tourner avec Allen est le rêve de la plupart des actrices, on ne peut que la croire. Et d’autres l’ont dit avant elle. Celles qui ont accompagné le New-Yorkais sur le long terme (Mia Farrow, Diane Keaton) et celles qui se sont vu proposer plusieurs rôles (Scarlett Johansson, Dianne Wiest, Judy Davis), de même que toutes celles qui n’auront croisé qu’une fois sa route. Et elles sont nombreuses, plus d’une cinquantaine, ces comédiennes de renom qui comptent «un Woody Allen» – puisque le cinéaste est un genre à lui tout seul – à leur filmographie. Charlotte Rampling, Marie-Christine Barrault, Meryl Streep, Jodie Foster, Anjelica Huston, Uma Thurman, Julia Roberts, Charlize Theron, Marion Cotillard, Drew Barrymore ou Naomi Watts ont toutes goûté au plaisir d’être dirigées par un metteur en scène «auquel vous dites oui dès qu’il vous appelle, avant même de lire le scénario qu’il vous propose», résume Cate Blanchett.
Magnifiquement tragique. Dans Blue Jasmine, l’Australienne campe une mondaine déchue, victime des malversations de son mari. Jasmine est une New-Yorkaise en vue depuis son mariage avec Al, un puissant homme d’affaires bientôt rattrapé par des magouilles sur lesquelles elle a choisi de fermer les yeux. Ruinée, la voici qui va renouer avec sa sœur adoptive, vivant chichement à San Francisco. Jasmine est une victime, pense-t-on d’abord. Avant de comprendre qu’elle n’est peut-être pas étrangère à la chute de son mari, et de découvrir que, sous ses airs de dépressive chronique, elle est d’un volontarisme redoutable, fera tout pour forcer son destin. Personnage magnifiquement tragique, elle utilise les autres à ses propres fins. Mais finalement, c’est d’elle-même qu’elle devra se méfier. Car Allen, en bon cinéphile qu’il est, a vu L’arroseur arrosé… Une chose est sûre: un an après le décevant To Rome with Love, ce brillant 43e long métrage prouve que Mr. Woody a encore, à 77 ans, des choses à nous dire.
De Woody Allen. Avec Cate Blanchett, Sally Hawkins et Alec Baldwin. Etats-Unis, 1 h 38. Sortie le 25 septembre.