Critique. Trois ans après «Django Unchained», Quentin Tarantino signe un deuxième western: «Les 8 salopards», huis clos sanglant moins irréprochable dans le fond que dans la forme.
Cinéphile compulsif capable de mettre sur pied d’égalité les plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire du septième art et d’obscures séries Z, Quentin Tarantino est un remixeur surdoué quand il décide de revisiter un genre ou un autre: il le fait toujours avec un indéniable brio. Il y a trois ans, il s’attaquait pour la première fois au western avec Django Unchained. Après avoir réinventé un peu plus tôt, dans Inglourious Basterds, la fin de la Seconde Guerre mondiale, il mettait en scène, dans les Etats-Unis ségrégationnistes de l’avant-Sécession, l’épopée sanglante d’un esclave noir. Il fantasmait d’une certaine manière la vengeance de l’opprimé sur l’oppresseur, comme il assassinait Adolf Hitler dans son film précédent.
Son huitième long métrage (si l’on considère comme lui que les deux segments du diptyque Kill Bill ne constituent qu’un seul film), Les 8 salopards, est un nouveau western, situé cette fois au lendemain de la guerre de Sécession. Il y enfonce le clou de la vengeance puisque, dans l’une de ses séquences centrales, il montre un ancien nordiste devenu chasseur de primes, le major noir Marquis Warren, humilier le général sudiste Sandy Smithers.
Revenons en arrière: le premier plan du film, superbe, dévoile une montagne enneigée. L’atmosphère évoque La chevauchée des bannis d’André De Toth (1959), tandis qu’une bande-son symphonique et tendue préfigure le déluge de violence à venir. Un lent zoom arrière dévoile alors une diligence autour de laquelle va se dérouler le premier tiers du film, les deux autres ayant pour décor unique l’intérieur d’une épicerie-auberge perdue au milieu de nulle part. C’est là que vont s’affronter des personnages particulièrement peu amènes, si ce n’est, dans une moindre mesure, un autre chasseur de primes, John Ruth. Il a pour règle de livrer ses proies vivantes afin qu’elles puissent être jugées avant exécution, comme Daisy Domergue, la tueuse qu’il escorte à travers le Wyoming et qu’il se plaît à faire taire en lui fracassant régulièrement le visage.
Montée en puissance
Dès les premières images, on sent le plaisir que ressent Tarantino à tourner en pellicule 70 mm, un format panoramique qui a connu son âge d’or dans les années 1960, à surdramatiser la narration à l’aide d’une bande originale composée spécialement par son idol Ennio Morricone, dont le vaste répertoire lui avait déjà souvent servi, lui qui aime recycler des musiques préexistantes.
A partir de Reservoir Dogs, en 1992, le cinéaste a développé un univers aussi ultra-référentiel qu’éminemment personnel, et qui transpire à chaque plan l’amour du cinéma. Les 8 salopards (le titre anglais, The Hateful Eight, qui peut signifier aussi bien «les huit haïssables» que «les huit haineux», est bien meilleur) se révèle, dans sa forme, sans surprise, irréprochable.
Admirable directeur d’acteurs et brillant dialoguiste, capable de superbement transcender la théâtralité de son récit à l’aide d’artifices purement cinématographiques, Quentin Tarantino orchestre dans ce deuxième western une montée en puissance de la violence qui va, dans sa dernière partie, flirter avec le cinéma gore: c’est là la limite de ce film moins brillant dans le fond que dans la forme. A partir de la scène d’humiliation évoquée plus haut, au cours de laquelle le major Warren va énumérer par le menu les détails sordides de la mort du fils du général Smithers, Tarantino abuse d’effets dont la stylisation et l’exagération ne parviennent guère à masquer la vacuité, tant ils n’apportent rien à l’histoire. De même, le voir martyriser à ce point son seul personnage féminin, même si Domergue est dans le fond une sale miss, est lassant malgré le comique de répétition recherché.
Au-delà du plaisir esthétique que procure la vision des 8 salopards, on ressent un vrai malaise face à ce (trop) long métrage tentant de faire de ce qui devrait être une série Z un chef-d’œuvre.
«Les 8 salopards». De Quentin Tarantino. Avec Samuel L. Jackson, Kurt Russell, Jennifer Jason Leigh, Michael Madsen, Tim Roth, Bruce Dern et Channing Tatum. Etats-Unis, 2 h 47.