Rencontres. Huis clos traversé de passions contradictoires, cet opéra qui visite les coulisses feutrées du Vatican occupe, pour l’instant, celles du théâtre Equilibre, où il prend vie.
Dominique Rosset
Ils sont suspendus aux voix des chanteurs, aux gestes du chef, au jeu du pianiste qui assure l’entier de la partition, en attendant que l’orchestre entre enfin en scène, dans quelques jours, et permette d’entendre la texture sonore telle qu’elle a été pensée… Les concepteurs de Carlotta ou la Vaticane vivent la dernière ligne droite d’avant la création entre impatience, fascination et confiance. L’ouvrage se dessine: il sera concis, direct, et marquera l’aboutissement d’un projet de plusieurs années.
Directeur de l’Opéra de Fribourg, Alexandre Emery en est l’instigateur. Frappé par le fait divers tragique qui endeuillait la garde suisse en mai 1998, intrigué par le mystère qui entourait l’enquête aux conclusions aujourd’hui encore peu claires, cet avocat mélomane a imaginé un opéra qui se déroulerait dans ce monde clos et secret où cohabitent, cités dans le désordre, foi, loyauté, hiérarchie militaire, épouses, femmes de ménage, pouvoir. Il a tissé une trame dramatique classique. «Unité d’action, de temps et de lieu, résume-t-il avec une certaine gourmandise. C’est le même déroulement que la folle journée des Noces de Figaro, même si le dénouement n’est vraiment pas comparable…» Amours, complots, naïveté et jalousie mèneraient à la mort, il y aurait du sang dans les coulisses du palais papal…
Restait alors à trouver ceux qui donneraient forme à son projet. «J’ai approché Jacques Chessex», rappelle Alexandre Emery. Mais la mort est passée, aussi, par là. Et c’est à son ami de longue date, le journaliste Christophe Passer, qu’il a proposé de mettre en mots et en situations théâtrales son projet de huis clos. «J’ai très vite voulu mettre une femme au centre du drame, explique le journaliste, librettiste malgré lui. La présence de la passion amoureuse et de la femme dans un tel contexte me paraissait intéressante à traiter, et cela nous démarquait clairement du fait divers tragique qui a effectivement eu lieu. Carlotta n’est pas une lecture de ce qui s’est passé. C’est une fiction absolue implantée dans un contexte réel.»
Costumes de gardes suisses, de curés, de nonnes: l’opéra est effectivement montré sous ses attributs réalistes. Le metteur en scène, Denis Maillefer, s’en accommode et précise: «Mon travail est dès lors de glisser dans ces rouages des éléments et des gestes étonnants, décalés, discrets et sensibles, qui dépassent le contexte rituel et apportent aux personnages de l’humanité, des sentiments, des doutes. Tout ce qui explique que des êtres de bonne volonté puissent soudain basculer dans l’effroi et le meurtre.»
iThéâtre musical
La composition a été confiée à Dominique Gesseney-Rappo, dont Alexandre Emery salue l’ouverture d’esprit et de styles. «Je voulais une musique accueillante pour le public, porteuse à la fois de nouveauté et de traditions.» Bien connu de la scène romande, notamment chorale, Dominique Gesseney-Rappo n’a pas hésité et s’est emparé d’un livret dont il a suivi et servi le déroulement dans l’esprit du théâtre musical. Avec, quelque part en arrière-fond, les figures de Puccini ou de Britten. «Je me sentais bien dans cette façon de dessiner chaque personnage en fonction de sa personnalité, en réservant à chacun d’eux des couleurs instrumentales spécifiques», explique le compositeur, qui s’avoue ébahi par la qualité de la distribution qu’il découvre lors des répétitions. «Le chant est totalement lié au texte, et cela complique vraiment le travail des interprètes…»
Des interprètes qui se révèlent être d’«excellents acteurs, disponibles, curieux, impliqués», salue Denis Maillefer, qui vit en plein «l’aventure rare, magnifique mais aussi déstabilisante» d’une création lyrique… en attente de son orchestre.
Fribourg. Théâtre Equilibre. Du je 31 décembre au di 17 janvier (6 représentations).
Bulle. CO2. Di 24 janvier, 17 h. www.operafribourg.ch
