Quantcast
Channel: L'Hebdo - Culture
Viewing all articles
Browse latest Browse all 4553

La douce mélodie de la pâte de haricots

$
0
0
Jeudi, 17 Décembre, 2015 - 05:57

Dorayakis. La Japonaise Naomi Kawase raconte dans le sublime «An – Les délices de Tokyo» une histoire de crêpes fourrées, mais aussi de rédemption et d’exclusion.

Cette fin d’année ne se résume heureusement pas au septième épisode de la saga Star Wars. Elle est aussi illuminée par l’un des films les plus sensibles et délicats sortis depuis janvier dernier: An – Les délices de Tokyo, signé Naomi Kawase. Cette cinéaste venue du documentaire est aussi l’auteure depuis le milieu des années 1990 d’une série de longs métrages poétiques et contemplatifs parlant d’amour, de vie et de mort, mais aussi de rapport à la nature et aux esprits. Thème cher à la culture nippone.

Une année après Still the Water, une œuvre tournée sur les îles d’Amami mais qui au-delà de sa superbe photographie se révélait parfois un peu sèche, Naomi Kawase revient avec un récit d’une extrême simplicité. Un récit en trois actes et trois personnages. Acte 1: Sentaro vend des dorayakis (des crêpes fourrées à la pâte de haricots rouges confits) dans sa petite échoppe tandis que Tokue, une vieille femme aux mains déformées, s’émerveille devant les cerisiers en fleurs. Acte II: Sentaro décide d’engager Tokue, car sa pâte de haricots, que les Japonais appellent «an», est la meilleure qu’il ait jamais goûtée. Acte III: Sentaro et Wakana, une jeune lycéenne rêveuse et un peu perdue, découvrent que Tokue souffre de la lèpre et qu’elle vit dans un sanatorium.

«Il faut respecter la nourriture»

Il y a dans An plusieurs films en un, et c’est ce qui fait sa force, derrière sa simplicité. Adapté d’un roman, une première pour Naomi Kawase, c’est d’abord une histoire de nourriture. Lorsque dans une longue séquence Tokue montre à Sentaro comment préparer la pâte de haricots, comment écouter ceux-ci bouillir dans la marmite, on est saisi de la même émotion que lorsque dans ses précédentes réalisations elle filmait des arbres ou un cours d’eau. La nourriture est-elle pour elle sacrée? «Oui, il faut la respecter», nous disait-elle en mai dernier, au lendemain de la projection de son film à Cannes, où il concourait dans la section Un certain regard. A l’heure où les jeunes Japonais, comme partout, privilégient ce qu’elle appelle la «quick food», elle a voulu rendre hommage aux gestes lents et minutieux qui pour elle sont l’essence de la cuisine. Ses amis, qui connaissent le respect qu’elle a pour les aliments naturels, la surnomment d’ailleurs «Biomi».

Au-delà de la douce mélodie des haricots, An est aussi un double récit d’apprentissage et de rédemption – comment Wakana va s’ouvrir à la vie, tandis que Sentaro, qui est endetté, va, lui, réapprendre à apprécier la vie. Et il y a, enfin, cette histoire de lèpre, qui soudain apporte un peu d’ombre, celle de l’exclusion, à une œuvre par ailleurs lumineuse. Lorsque Naomi Kawase nous emmène dans le sanatorium, son récit prend une teinte documentaire, mais aussi mélancolique. Au Japon, les lépreux ont dans l’après-guerre été écartés de la société. Difficile ensuite pour eux, à l’image de Tokue, qui rêve de travailler, donc d’exister, de se faire à nouveau accepter.

Psychologie évacuée

Comme à son habitude, Naomi Kawase a laissé beaucoup de liberté à ses comédiens, les emmenant d’abord en repérage sur les lieux de tournage et parlant beaucoup avec eux afin qu’ils s’imprègnent de leur rôle. «Comme la littérature et le cinéma sont deux médiums différents, j’ai évacué les considérations psychologiques qu’il y avait dans le roman», souligne-t-elle lorsqu’on lui demande comment elle s’y prend pour rendre ses personnages si vrais.

«Vous savez, mes acteurs ont vraiment mis 100% d’eux-mêmes dans ce film. C’est en outre la première fois que je travaille avec un chef opérateur, ce qui m’a permis beaucoup de spontanéité lorsque je voulais filmer quelque chose qui n’était pas dans le script. La monteuse, Tina Baz, est par contre la même que sur Still the Water. Elle est Française, et comme elle ne parle pas japonais, elle se concentre sur le flux émotionnel du film pour le construire. Ces trois éléments expliquent peut-être la justesse dont vous parlez.»

«An – Les délices de Tokyo». De Naomi Kawase. Avec Kirin Kiki, Masatoshi Nagase et Kyara Uchida. Japon/France/Allemagne, 1 h 53. Sortie le 23 décembre.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
TWENTY TWENTY VISION, ZDF
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Viewing all articles
Browse latest Browse all 4553

Trending Articles