Festival Tous Ecrans. Le photographe et réalisateur néerlandais, fameux pour ses noirs portraits rock, est l’invité d’honneur du festival genevois. Il y présente son dernier film, «Life».
Luc Debraine
Dans la plupart des films, les stars ou les figurants ne savent pas tenir un appareil photo. Ils font au mieux semblant de prendre une image. Un cas récent est Jurassic World, navet remarquable où un gosse fait absolument n’importe quoi avec le petit numérique qu’il tient à peine en main. En revanche, autre actualité, Robert Pattinson dans Life est on ne peut plus crédible en photoreporter, maniant avec aisance son boîtier 24x36.
«C’est normal, je lui ai mis un appareil entre les mains plusieurs mois avant le tournage de Life, raconte au téléphone le réalisateur néerlandais Anton Corbijn. Je lui ai demandé de prendre des photos en étant très sélectif, en réfléchissant bien à ce qu’il faisait.»
Dans le film, Robert Pattinson joue le rôle de Dennis Stock, un jeune photographe new-yorkais sous contrat avec le magazine Life. Durant l’hiver 1954-1955, Stock réalise une série de portraits de James Dean qui deviendra légendaire, se liant au passage d’amitié avec l’acteur de la Fureur de vivre. Le film se concentre sur cette rencontre, ainsi que sur la relation toujours fluctuante de pouvoir entre un photographe et son modèle. Life est présenté le 13 novembre au Festival Tous Ecrans de Genève, dans le cadre d’un hommage à Anton Corbijn, 60 ans. Le film sortira dans quelques salles romandes à partir du 18 novembre.
Intensité existentielle
Le Néerlandais sait bien sûr de quoi il retourne dans cette relation entre un chasseur d’images et sa proie. Il a été photographe lui-même. «Est-ce que je le suis encore? Attendez… je vérifie dans mon agenda… mmm… la réponse est oui!» plaisante-t-il à l’autre bout du fil. Né dans une famille très protestante, Anton Corbijn trouve vite une échappatoire à la religion par le rock et la photo. Il s’installe à Londres, collabore au New Musical Express, trouve peu à peu sa manière sombre, en noir et blanc surtout, attentive à l’ombre portée du succès. Dans les portraits de Corbijn, les grands noms du rock apparaissent tels qu’en eux-mêmes, avec une remarquable intensité existentielle. Il collabore dès 1982 avec la bande à Bono, concevant la plus belle pochette du meilleur disque de U2: The Joshua Tree. Il signe aussi les couvertures d’Automatic for the People de R.E.M., Stripped des Rolling Stones, The Boatman’s Call de Nick Cave. Et se tourne sans tarder vers le clip musical, pour Joy Division, Depeche Mode, U2, Nirvana, Coldplay ou récemment Arcade Fire.
«Il n’y a pas loin de la photo de rock à la vidéo, également à la recherche de style dans une forme brève, visuelle et commerciale, note Anton Corbijn. Je ferai la même remarque pour les films de Robert Frank et William Klein, essentiellement des documentaires tournés par des photographes. En revanche, la distance est beaucoup plus grande vers le cinéma…» En 2007, Anton Corbijn se tourne vers le long métrage de fiction avec Control, biopic nerveux sur la courte carrière du groupe Joy Division. Life est son quatrième film. «Je n’en finis pas d’en apprendre sur la principale différence entre la photo et le cinéma: l’art de la narration et la fluidité des dialogues. Si le sens de la composition est commun aux deux arts, il ne suffit de loin pas, au risque de figer son expression dans une esthétique creuse. Savoir raconter une histoire, tout est là.» Anton Corbijn travaille aujourd’hui à l’adaptation du livre Devil in the Grove de Gilbert King, chronique de l’injustice raciale dans les Etats-Unis des années 50.