Rencontre. L’actrice belge a présenté au Festival du film de Locarno «La belle saison», dans lequel elle incarne une féministe tombant folle amoureuse d’une fille campagnarde dans la France rétrograde des années 70.
Cécile de France reconnaît être une femme d’instinct, et si elle possède en effet un sixième sens, celui-ci semble fonctionner plutôt bien au vu de sa filmographie. Dès qu’elle a lu le scénario de La belle saison, le long métrage qu’elle est venue présenter la semaine dernière sur la Piazza Grande, qui réunit chaque soir du Festival du film de Locarno 8000 spectateurs, elle a su que le résultat allait être beau. «Et je ne me suis pas trompée», glisse-t-elle avec un sourire entendu.
Lovée tel un chat n’ayant pas très envie de se réveiller dans le fauteuil d’un grand hôtel, alors que dehors la canicule assomme les festivaliers courant d’une salle à l’autre, la comédienne belge avoue d’emblée ne pas avoir lu souvent un scénario aussi sublime. Et à l’écouter parler du film de Catherine Corsini, on la croit sans se demander si elle dit cela à chaque fois qu’elle assure la promotion d’un nouveau titre. Lorsqu’on lui demande malgré tout comment elle fait pour être si convaincue du potentiel d’une production à la seule lecture de son synopsis, alors qu’on sait que l’histoire du cinéma est féconde en chefs-d’œuvre tirés d’histoires banales et de navets qui sur le papier avaient tout pour eux, elle parle donc d’instinct, mais aussi d’imagination et d’expérience. «Lorsqu’on lit un scénario, il faut arriver à voir à travers le papier. Il y a une sorte de prémonition, ça s’apprend.»
Des militantes excitées
Bouleversante histoire d’amour située dans la France conservatrice des années 70, La belle saison raconte l’histoire de Delphine (Izïa Higelin), une fille de fermiers tentant sa chance à Paris. A peine débarquée dans la capitale, voilà qu’elle se retrouve au hasard d’un grand boulevard au centre d’une bande de filles décomplexées mettant la main aux fesses des hommes pour inverser les clichés. Des filles plus prudes les appellent les excitées. Delphine, elle, est instantanément fascinée par ces amazones militant pour le droit des femmes à disposer comme elles l’entendent de leur corps et le droit à l’avortement, contre les inégalités salariales et la phallocratie.
Delphine est homosexuelle. Partie de la campagne pour se remettre d’un chagrin d’amour, la voilà subjuguée par Carole (Cécile de France), l’une des meneuses de ce groupe de militantes qui s’efforcent de faire perdurer l’esprit de mai 68. Après deux tentatives de rapprochement labial, elle parvient à l’ensorceler. Mais la passion torride que vont vivre les deux femmes va être soumise à rude épreuve lorsque Delphine se verra contrainte de retourner travailler la terre dans son Limousin natal. Dans un univers où le tracteur et le mâle à salopette règnent en maîtres absolus, où la femme trime aux champs sans salaire, impossible pour elle de vivre au grand jour son homosexualité lorsque Carole la rejoindra.
Bien que bouleversée à sa lecture par le scénario de La belle saison, Cécile de France a néanmoins hésité avant d’accepter le rôle. Mère de deux enfants, mariée mais discrète sur sa vie privée, elle ne se voyait pas incarner pour la sixième fois une lesbienne. Apprendre que Catherine Corsini avait écrit son personnage spécifiquement pour elle achèvera de la convaincre du contraire. «Avoir un réalisateur qui écrit pour vous, qui vous dit qu’il ne voit pas qui d’autre pourrait jouer ce personnage, c’est précieux.» Le désir de Catherine Corsini se lit d’ailleurs dans sa façon de la filmer, de sublimer les nombreuses scènes d’amour à l’aide d’une photographie chaude là où Abdellatif Kechiche avait choisi pour La vie d’Adèle une approche plus froide et clinique. «La chaleur que vous évoquez vient je pense du travail de la caméraman Jeanne Lapoirie, qui a travaillé ses mouvements dans la volupté, et dans une certaine pudeur aussi. Même si tout est filmé sans tabou, avec beaucoup de liberté, il y a quand même une pudeur. Mais je n’ai pas envie de comparer les deux films, La vie d’Adèle est tout aussi beau. C’est dommage qu’on pense devoir le faire, cela veut dire qu’il n’y a pas assez de films lesbiens.»
Sensibilité féminine
Une femme à la réalisation, une autre derrière la caméra. La sensibilité qui se dégage de La belle saison tiendrait-elle au fait qu’il s’agit d’un film essentiellement féminin, donc peut-être exempt des fantasmes masculins? «Lorsqu’on lui pose cette question, Catherine dit que non, qu’il n’y a pas de guerre des sexes. J’ai aussi tendance à dire qu’il y a une universalité dans le métier d’artiste. Ce qu’il y a de propre à elle, ce n’est pas qu’elle soit une femme, mais que cette histoire soit en partie inspirée de sa vie. Et quand un réalisateur raconte sa vérité, on a forcément quelque chose de très intense, de très vrai, que peut ressentir le spectateur. Il y a une tendresse, et en l’occurrence également une connaissance de l’amour féminin. Etant elle-même homosexuelle, Catherine sait de quoi elle parle. De mon côté, vu que toute l’équipe était très féminine, je pense qu’il y a bien une sensibilité féminine dans le film, quelque chose de sincère.»
Contrairement aux autres homosexuelles qu’elle a pu jouer, que cela soit dans la trilogie Erasmus de Cédric Klapisch (L’auberge espagnole, Les poupées russes, Casse-tête chinois), Haute tension ou Sœur Sourire, Carole est ici très souvent nue. Ce qui n’a pas dérangé Cécile de France plus que cela, car «les scènes d’amour ne sont pas gratuites», dit-elle en expliquant que dans une relation intense il y a du sexe, et qu’il est donc normal de le filmer. «Quand vous racontez l’amour, c’est bien de ne pas avoir de tabous et de barrières morales. Le cinéma français est de ce point de vue très fort. Je me suis beaucoup investie dans mon personnage, une militante féministe qui défend le droit de disposer de son corps dans un esprit hippie. Carole est curieuse, elle a soif de découvrir le plaisir. C’était pour moi tout à fait logique et cohérent qu’elle se mette nue.»
Même si elle ne se sent pas elle-même l’âme d’une militante, qu’elle n’est pas une guerrière comme Carole, qu’elle n’est qu’«une actrice qui a un simple besoin de créer des personnages», la native de Namur se dit fière de représenter la minorité homosexuelle au cinéma. «Les mentalités évoluent doucement, et il faut continuer à les représenter, insiste-t-elle. C’est à nous, les artistes, de briser les tabous, de jeter à la poubelle les préjugés. Ce que je souhaite, c’est qu’un film comme celui-ci permette à des jeunes d’assumer leur sexualité, face à eux-mêmes, face à leurs parents et leur famille. Car encore aujourd’hui, ce n’est pas toujours facile. Si La belle saison pouvait contribuer à donner une image belle de l’amour homosexuel, ce serait merveilleux.»
A n’en pas douter, il y parviendra. En grande partie grâce à la présence de Cécile de France, dont le jeu naturel et décontracté est comme toujours d’une grande justesse. Tout aussi charmante en entretien même si ses réponses sont parfois un peu courtes et que l’on sent çà et là une certaine lassitude à répéter encore et encore les mêmes choses, la Belge a le privilège rare d’être aimée d’un large public.
Parler d’elle avec de jeunes spectateurs ou de vieux cinéphiles, c’est invariablement s’entendre répondre: «Elle a vraiment l’air sympa.» A l’opposé, lorsqu’on évoque Isabelle Huppert, le public l’imagine froide et distante tout en reconnaissant l’immensité de son talent. Lorsqu’on lui fait cette remarque, l’actrice se marre franchement, apprécie le compliment et prend quelques secondes avant de répondre. «Je pense que cela vient vraiment des choix que je fais. J’accepte tous les genres de rôles, je ne suis pas cloisonnée dans quelque chose de glamour. Je pense que les spectateurs peuvent se reconnaître en moi, qu’ils se disent que je pourrais être leur copine.»
Redevenir une page blanche
Ses rôles, Cécile de France les choisit donc avant tout en fonction de la beauté du scénario. «Est-ce que j’ai envie de raconter cette histoire?» voilà la première question qu’elle se pose. Et ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est interpréter des gens normaux, qui permettent une identification, qui rendent l’empathie aisée. Se glisser dans la peau d’un personnage est pour elle une sorte de gymnastique mentale. Un comédien est-il forcément quelqu’un d’impudique, prêt à tout donner? Pas forcément, répond-elle. «Chacun a ses complexes, certains sont plus ou moins narcissiques. Mais quand on a lu et accepté un scénario, on y va, il faut se lancer, même si ce n’est pas toujours facile.» Lorsqu’on se met littéralement à nu devant une caméra, l’important est surtout de ne pas penser que derrière l’œil indiscret de la caméra, il y a des millions de regards potentiels. «Jeanne, la caméraman, est comme un peintre. Tout à coup, la magie de l’art opère, comme dans un tableau du XIXe où le modèle est nu.»
Une fois le film terminé, il est salutaire de passer à autre chose, dit encore Cécile de France, qui n’est pas du genre à s’attacher à ses personnages au point de devoir en faire le deuil. «En général, quand un tournage est fini, tout ce qui va avec le rôle – si j’ai fait du piano, par exemple – s’en va du jour au lendemain. Je trouve plutôt sain de dire adieu et de redevenir une page blanche.» Avant d’attaquer un nouveau film, la Wallonne trouve par contre «amusant et ludique» d’inventer un passé ou un futur à son personnage, d’en savoir plus sur lui que ce qui est montré à l’écran. Mais il n’y a pas de règles, insiste-t-elle. On en revient à cet instinct qui semble la guider depuis ses débuts. Cécile de France n’est pas une actrice cérébrale, et c’est sûrement ce qui la rend si incandescente sur l’écran large.
«La belle saison». De Catherine Corsini. Avec Cécile de France, Izïa Higelin et Noémie Lvovsky. France, 1 h 45. Sortie le 19 août.