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Sur les traces de Rousseau à Bienne et d’Amiel à Chernex

Jeudi, 16 Juillet, 2015 - 05:58

Tourisme littéraire.«Cippe à Bienne» et «Dix jours à Chernex» invitent à regarder ces deux villes familières avec des yeux neufs.

Bienne, Chernex: des endroits anodins de Suisse. Rien à voir avec le spectaculaire de Zermatt, de Chillon ou des chutes du Rhin, chantés mille fois par les poètes romantiques. Et pourtant, deux petits livres originaux invitent à les considérer avec davantage de respect et de s’y balader avec un œil neuf.

En 1871, Henri-Frédéric Amiel a 49 ans. Il enseigne depuis vingt ans à l’Académie de Genève lorsque, comme chaque été, il passe quelques jours à Chernex au-dessus de Montreux. Entre le mardi 29 août et le dimanche 7 septembre, il se promène autour du Cubly, boit du lait de poule pour lutter contre sa toux, va à Bex consulter le docteur Cossy, mange au Grand Hôtel des Salines et lit du Victor Hugo le soir «pour la compagnie». On le sait parce que tout est noté dans le fameux journal intime de 17 000 pages qu’il tient alors depuis trente-deux ans et dont les Editions Zoé ont la bonne idée d’extraire quelques pages.

Des pages d’autant plus savoureuses que son passe-temps favori à Chernex n’est pas la marche mais les femmes: autour de lui gravitent son amie et disciple Fanny Mercier, institutrice dont il fera la légataire de son journal, follement éprise de lui mais qu’il tient à une distance condescendante, Caroline Empeytaz, confidente qu’il retrouve en vacances et qui lui ravaude son chapeau, Marie-Adrienne Favre, qui a vécu avec lui une longue idylle, Berthe Vadier, la femme de lettres genevoise chez qui il vivra en pension les dernières années de sa vie, ou encore Caroline Frossard, fille de pasteur avec qui il correspond et intrigue.

Non sans un narcissisme machiste qui prête aujourd’hui à rire, l’écrivain, qui ne se mariera jamais, confie à son journal: «Quelle situation extraordinaire que la mienne. Ici (…) sont deux personnes que je puis faire fondre en larmes par un regard indifférent, et à l’autre bout du lac, il en est deux autres qu’un mot froid de ma part peut empêcher de dormir. (…) Je suis (…) l’arbitre de leur bonheur, le maître de leur repos (…).» Ces «anecdotes de villégiature», comme les qualifie Daniel Maggetti dans sa préface, se dégustent comme une véritable curiosité autant qu’une tranche de vie passionnante de l’histoire littéraire romande.

Rousseau ou Walser

Un siècle plus tôt, en juillet 1765, Jean-Jacques Rousseau quittait Môtiers, où on lui jetait des pierres, pour se réfugier sur l’île Saint-Pierre sur le lac de Bienne. Il y passa les deux mois les plus heureux de sa vie, mois qu’il raconta dans la Cinquième promenade de ses Rêveries du promeneur solitaire.

Pour les dix ans de l’Association pour une collection d’études littéraires et de sa collection Le Cippe, son directeur Patrick Amstutz a envoyé une escouade de ses écrivains et poètes amis se balader dans les rues de la ville siège de l’association et le long des rives de son lac pour y poser leur regard et mêler leurs souvenirs aux siens. Le résultat, un recueil patchwork et attachant, a mobilisé une quarantaine de plumes parmi les plus vivantes de Suisse romande. Forcément, plusieurs – Jean Rime, Daniel Fattore, Jacques Hirt, Gérard Bocholier, Jean-Baptiste Para, Denise Mützenberg, Claire Krähenbühl – mettent leurs pas dans ceux de Rousseau. D’autres – Michel Host, Jacques Lèbre, Rose-Marie Pagnard – tentent de rattraper l’ombre de l’écrivain-marcheur biennois Robert Walser. Aude Seigne, Blaise Hofmann, Noëlle Revaz, Jean-Dominique Humbert, Quentin Mouron, Patrice Duret, Isabelle Flükiger, Silvia Härri ou Laure Mi Hyun Croset s’emparent d’un bout de rue ou de nuit de cette ville-frontière «toujours entre deux chaises», comme l’écrit David Gaffino, «ni vraiment romande, ni complètement alémanique, ni secrètement jurassienne, ni sincèrement bernoise», lui répond Cédric Némitz, «décomplexée» enfin, revendique Marie-Pierre Walliser. Une ville où, lorsqu’on y est né comme Thierry Luterbacher, on revient toujours pour s’épancher «sur son épaule bienveillante en lui contant ses déchirures».

A lire: «Dans les pas de Walser, sur les traces de Rousseau… Cippe à Bienne». Dirigé par Patrick Amstutz. In Folio/Acel, 180 p.
«Dix jours à Chernex». D’Henri-Frédéric Amiel. Mini Zoé, 62 p.

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