Festival. La 49e édition de la manifestation vaudoise démontre la capacité de renouvellement d’un événement attentif aux bouleversements artistiques et économiques de son temps.
Emmanuel Bianchi
On se souvient de la météo pourrie qui avait terni l’ambiance du Montreux Jazz Festival l’an passé. Plus de ça. Depuis le 3 juillet, l’événement musical vaudois connaît une édition exceptionnelle: climat baléarique, programmation impeccable, salles pleines, avec cette excitation constatée lors des venues des blockbusters Portishead et Lady Gaga. A l’aube d’un cinquantième anniversaire qu’on sait déjà en cours d’élaboration, cette 49e édition révèle un festival confiant en son futur et où s’élaborent des tendances neuves – dont certaines devraient s’enraciner ailleurs demain.
Comment juger la qualité d’un festival quand le nombre de rendez-vous pop a doublé en l’espace de vingt ans à travers le monde? A sa capacité à inventer de nouveaux modes «d’être ensemble», à renouveler son storytelling et l’à-propos de sa ligne artistique. Dans un environnement hypercompétitif où se mêlent intérêts publics, privés et politiques, la vigueur conceptuelle d’un événement musical est aujourd’hui devenue une condition première de sa pérennité.
Ce préalable n’a pas échappé au Montreux Jazz. Ses 50 bougies en ligne de mire, le rendez-vous fait le choix d’une rénovation progressive des modes qui prévalaient durant l’ère Claude Nobs. Songeons-y. Il y a quatre ans encore, le fondateur du MJF tenait ses commandes sans partage. Curieux, cette époque paraît lointaine, aujourd’hui. Et pour cause: plutôt que d’incarner une vitrine muséale soumise à la politique molle du «changement dans la continuité», Mathieu Jaton, directeur du «Jazz» depuis 2013, défend un positionnement judicieux situé à la croisée de l’héritage patrimonial et d’une volonté d’inscrire Montreux dans les dynamiques culturelles et commerciales du présent.
S’il est une «Jaton touch», elle est ainsi à chercher dans cette émancipation décontractée, mais lucide et mesurée. De quoi faire mentir, au passage, ceux qui comparaient le festival à un étalon vétéran hésitant devant l’obstacle: ce demi-siècle d’existence abordé ici non comme un fardeau (mais qui aime vieillir?), mais comme le nouveau chapitre d’une histoire globale.
Le choix de la fraîcheur
Baromètre le plus évident de la réforme amorcée par le festival, une offre musicale aux airs de panachage des talents parmi les plus autoritaires ou excitants de la pop actuelle, de Lady Gaga à Damien Rice. Que Montreux équilibre sa programmation entre jeunes pousses (Leon Bridges), idoles vieillissantes (Lionel Richie), flirts saisonniers (Sam Smith) et gloires patrimoniales (Gilberto Gil) n’est certes pas nouveau. Toutefois, cette édition fait sciemment le choix de la fraîcheur, paraissant même anticiper sur les retraites ou disparitions d’«amis» historiques, tel B.B. King, comptant hier encore parmi ses piliers.
Tenu comme l’un des rares événements de classe mondiale capables de lancer des pratiques plus tard adoptées partout, Montreux donne aussi à méditer sur les bouleversements en cours dans l’industrie du live. Parmi eux, l’omniprésence des écrans. En arrière-scène, d’abord. Dans le public, ensuite (forêt de smartphones brandis). A l’interconcert, enfin – à l’exemple de la soirée Red Bull Music Academy où, entre chaque show, des spots publicitaires étaient projetés. En ce qu’elle traduit de l’évolution des liens entre un événement musical et ses partenaires, cette pratique nouvelle vaut d’être méditée. On le sait, sans sponsor, pas d’événement culturel. La présence de banderoles ou de logos y est aujourd’hui une banalité. Toutefois, demain, l’appétit des partenaires devrait encore rogner sur un espace, le festival, à son origine imaginé comme un lieu de liberté.