Le Musée Rath à Genève accueille jusqu'au 27 septembre "J'aime les panoramas. S'approprier le monde". L'exposition explore le phénomène du panorama, en brassant médium et époques, de de Saussure à Eliasson en passant par Monet ou Hodler.
Fruit d'une collaboration avec le Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MuCEM) à Marseille, l'exposition présente "un sujet à la convergence entre deux éléments forts de notre musée: l'art et l'histoire", a relevé jeudi Jean-Yves Marin, directeur des Musées d'art et d'histoire de Genève.
Art populaire, industrie du divertissement, moyen de communication, mélange d'art, de technologie et de marchandises, le panorama se situe au croisement de diverses démarches. Pas loin de 400 oeuvres sont présentées dans l'exposition. La difficulté a été de réduire le champ des possibles, a ajouté Jean-Roch Bouiller, conservateur en chef au MuCEM.
Le point commun à toutes les formes de panoramas, c'est une vision du monde, une manière de l'appréhender. Cette notion est au coeur des préoccupations de nombreux artistes contemporains, auprès de qui le panorama connaît un regain d'intérêt, a-t-il souligné.
Dispositif inventé par l'artiste écossais Robert Barker en 1787, le panorama est à l'origine une construction circulaire, donnant à voir un paysage ou une scène historique à 360 degrés, a expliqué Laurence Madeline conservatrice en chef du pôle Beaux-Arts des MAH. Il a été rapidement diffusé en Europe à la faveur de brevets.
Les premiers exploités étaient consacrés à des vues de villes (Edimbourg, Londres, Paris). T.J.Wilcox renouvelle le genre en proposant une vision filmée de Manhattan (2013) présentée dans l'exposition.
Le panorama est né avec le capitalisme, a expliqué Mme Madeline. Avec l'industrialisation, les villes se sont tellement agrandies qu'ils étaient utilisés pour s'y retrouver. L'industrie du spectacle s'empare du phénomène, des spectacles sont proposés dans des rotondes, ils tournent dans les grandes capitales.
Le panorama est également utilisé comme relevé géographique. Quasi simultanément à la découverte de Robert Barker, en 1776, le scientifique suisse Horace-Bénédict de Saussure représente circulairement le glacier du Buet. Le but est de pouvoir reconnaître cet univers.
On passe très vite aux batailles et au panorama comme outil de glorification des armées, à l'exemple de celui de la prise de Sébastopol. Le panorama Bourbaki aujourd'hui attraction majeure de Lucerne montre lui l'envers de la guerre, rappelle la conservatrice en chef. L'exposition en propose d'ailleurs une mise en scène contemporaine avec l'oeuvre de Jeff Wall (1993), qui fait poser des restaurateurs de Bourbaki.
Le panorama, c'est également le point de vue: belvédères, terrasses et escaliers, mais également instruments d'optique qui orientent le regard. Les oeuvres de Tacita Dean ou Philippe Ramette insistent sur le paradoxe d'un regard libre qui finit par être dirigé.
Devant les paysages qui s'offrent à lui, l'homme est placé dans la position d'un dominé/dominateur qui étreint l'univers ou s'y dissolve jusqu'à l'abstraction géométrique ou colorée. Les oeuvres de Gerhard Richter, Monet ou encore David Hockney illustrent ces positions contradictoires.
Le panorama est aussi utilisé comme récit pour raconter le spectacle du monde, comme ce dessin de la cour de Napoléon III de Jean Baptiste Detaille. Il annonce l'avènement du cinéma, son rival fossoyeur. Il devient substitut ou objet, du papier peint aux cartes postales en passant par des dépliants.
L'exposition sera présentée à Marseille du 4 novembre au 29 février 2016. Environ 80% des oeuvres présentées seront identiques, a précisé M. Marin.