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Rentrée littéraire: nos auteurs coups de cœur

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Jeudi, 29 Août, 2013 - 05:59

Par Isabelle Falconnier et Julien Burri
 

De Michel Layaz à Fred Valet, de Florian Eglin à Philippe Rahmy, la première vague de la rentrée romande est riche. Isabelle Falconnier et Julien Burri ont lu pour vous.


Fred Valet

Enfin un récit de grossesse signé du futur père! C’est le journaliste Fred Valet qui se dévoue, après nous avoir donné un avant-goût de ses talents de chroniqueur paternel perdu entre lolettes et langes dans Femina. Jusqu’ici tout va bien commence lorsque la future mère lui met sous le nez un test de grossesse positif et se clôt lorsque le narrateur se sent devenir un homme parce qu’une infirmière lui pose sa fille entre les bras. Entre deux, le trentenaire tente de retenir la vie d’avant qui lui glisse entre les doigts et angoisse à l’idée de celle d’après. Entre deux, il y a l’annonce à faire aux amis, les kilos que prend madame, le lit de bébé à acheter. Comme son bonheur, il en est conscient, «ne bouleversera pas l’Histoire», Fed Valet a «écrit un livre», soit le récit enlevé, concret et lyrique d’un trentenaire conscient d’être à un tournant de sa vie, joyeusement superficiel et cabotin, agaçant à force d’en faire des tonnes mais touchant pour les mêmes raisons. Hautement recommandable donc.

«Jusqu’ici tout va bien». 118 p., BSN Press.


Anne-Frédérique Rochat

Une famille part en vacances. Papa, maman, et leurs deux filles ont loué une maisonnette dans la forêt. C’est la fille aînée qui raconte. A 40 ans, vieille fille, elle habite toujours chez ses parents, et élève sa petite sœur Diane comme si c’était sa fille. La patronne, c’est elle. Elle qui conduit, qui décide des repas, des activités de la journée et de l’heure du coucher tout en se posant en victime de la paresse et de l’ingratitude supposées des autres membres de la famille. Las, les parents forniquent à tout va au grand dam de leur aînée dégoûtée tandis que la petite sœur grandit, tient un journal intime évidemment introuvable et se trouve un amoureux qui veut l’épouser. Le style d’Anne-Frédérique Rochat, mélange de douceur doucereuse, de naïveté feinte et de simplicité brusque, à la limite de la platitude contrôlée parfois, fait merveille dans ce conte familial cruel et inquiétant. Le portrait de Charlène, dont les pseudo-sacrifices relèvent de l’égoïsme et de la peur, est impeccable et troublant. Le sous-bois, deuxième roman de la comédienne et dramaturge lausannoise après Accident de personne, a tout de l’ode à l’inavouable. Anne-Frédérique le sait bien: nous avons tous une Charlène en nous.

«Le sous-bois». Luce Wilquin, 192 p.


Quentin Mouron

Quentin Mouron a voulu être méchant: il y réussit. Quentin Mouron a voulu être tendre: il y réussit. La combustion humaine est le livre le plus vache et affectueux, désabusé et optimiste qu’on ait lu par ici depuis longtemps. Satire du milieu littéraire romand à l’écriture précise, sobre et classique, il dresse le portrait d’un éditeur solitaire retrouvant le goût de vivre sur Facebook, comble du spleen façon XXIe siècle. La plongée dans la vie de Morel, compromis entre Michel Moret, Bernard Campiche et Pierre-Marcel Favre, permet à l’auteur de se livrer à une description acide de ce milieu «étroit, ridicule, insuffisant». Tout le monde en prenant pour son grade – écrivains, libraires, journalistes –, l’auteur se fera détester des uns comme des autres qui, même s’ils ne se retrouvent pas dans des phrases comme «Un écrivain minable peut cacher un ponte de la culture ou un chef de rubrique», vont le juger suffisamment impoli pour l’éviter. Un clin d’œil à Barilier, «jamais pardonné» pour son Soyons médiocres!, indique que l’auteur sait dans quels pas il glisse les siens.

«La combustion humaine». Olivier Morattel, 130 p.


Philippe Rahmy

Poète, Philippe Rahmy souffre de la maladie des os de verre. A la naissance, il avait déjà les deux mains fracturées. Ce handicap a forgé chez lui une attention particulière au corps, une langue, un style. Dans ce récit, il raconte son séjour de deux mois en Chine, en résidence d’écrivain, et notamment sa visite chez l’artiste Ai Weiwei. Mais il évoque autant Shanghai que sa propre histoire (sa famille en Allemagne, fuyant les bombardements, la frustration de son désir adolescent). Dans les rues de la mégapole, il cherche son propre corps, et l’amitié d’un jeune camarade disparu trop tôt. Sa prose poétique puissante fait penser à Cendrars, pour sa rapidité à saisir la modernité. Rahmy est fidèle à son projet: «Ecrire la vie, non la décrire». Même si quelques aphorismes paraissent arbitraires, c’est une réussite stylistique, poussée par l’urgence: saisir la ville cobra avant d’être hypnotisé par elle. Odeurs, bruits et lumières pulsent, le texte est un «remous sensuel et magnétique». Shanghai devient un poème, une déflagration d’une virulente beauté…

«Béton armé». La Table ronde, 202 p.


Michel Layaz

Pas facile de captiver le lecteur en le plongeant dans la psyché d’un «pauvre type». Un imbuvable qu’on aurait envie de fuir à toutes jambes. Michel Layaz y excelle. Hypocrite, le narrateur de son Tapis de course rabaisse ses proches et les manipule de manière éhontée. La seule chose qui compte, pour lui, c’est son poste de responsable au département littérature et philosophie d’une grande bibliothèque. Et son tapis de course, qu’il pratique tous les soirs. Ses enfants, sa femme, ses amis, l’espèce humaine en général, ne trouvent pas grâce à ses yeux. Les livres, qu’il prétend adorer, il ne fait que les parcourir en marathonien procédurier, les «piétinant» sans se laisser toucher par eux. Le suspens monte au fil des pages, le lecteur redoute autant qu’il appelle une punition. Mais ce n’est pas le genre de Michel Layaz. Pas d’apothéose, chez lui, pas d’effets de manches. Il préfère recueillir la petite musique intérieure d’un personnage qui continuera de «mâchonner sa rogne du monde» jusqu’à la fin de ses jours. Le pire, c’est que cet affreux qui nous débecte tant, nous ressemble un peu. Qui n’a eu l’outrecuidance de se considérer supérieur aux autres, pour masquer sa propre médiocrité? Michel Layaz réussit le parfait roman miroir d’un monde cynique.

«Le Tapis de course». Zoé, 157 p.


Damien Murith

Ciel de plomb, le diable rôde dans la campagne et rend les hommes malades de désir charnel. L’histoire est vieille, usée jusqu’à la corde: un mari ensorcelé par une «garce» délaisse sa femme. Sa vieille mère acariâtre prédit que cela tournera mal et le village commère. Pourtant, l’écriture de Damien Murith, affûtée comme un couteau, tranche dans le vif. Les phrases claquent, mordent, suffoquent. Ça sent le cochon égorgé et le sexe de femme offert comme une gourmandise. Les chapitres courts posent, telles des vignettes, une âpre tragédie sans âge qui émeut profondément.

«La lune assassinée». L’Age d’Homme, 109 p.


Antoine Jaquier

La défonce d’un adolescent dans la campagne vaudoise de la fin des années 80. Ses émois érotiques, ses séances de tatouages chez le maître du genre, Filip Leu, «Mozart national de l’encrage cutané», son égarement progressif dans de douloureux mirages intimes. Ces pages sont signées par un animateur socioculturel de 43 ans dont c’est là le premier roman. Le récit volubile, à la première personne, choisit de raconter plutôt que d’évoquer, mais ne fait pas de concession. Le trip sans espoir finira en Thaïlande. Le réveil sera brutal, triste et glauque. Une hécatombe...

«Ils sont tous morts». L’Age d’Homme, 276 p.


David Bosc

Ce récit bref, sensuel, raffiné et terreux, raconte les dernières années de Gustave Courbet en Suisse. Pas besoin d’intrigue artificielle: l’enjeu, c’est le regard qu’un grand peintre porte sur le monde, son «affrontement avec le temps». Très travaillé, La claire fontaine donne l’agréable impression d’avoir été improvisé, jeté sur le papier, comme la peinture étalée par Courbet sur ses toiles avec son couteau à palette. Précis mais vivant. Courbet est devant nous, «sa bedaine, sa barbe de sapeur», son appétit et sa soif gargantuesques. Il se baigne dans le Léman à des heures indues et traite les autorités de La Tour-de-Peilz de «chenoilles». Il visite un «bordel honnête» de Vevey, où les filles ont «de bonnes joues rouges et une odeur de savonnette». Il fascine pour sa façon d’enjamber les frontières, comme un Tsigane. De n’être «ni moderne ni nostalgique», de peindre des nature mortes «secrètement émues», des vagues «médusées» et comme changées en ciment, des animaux à l’odeur de «carnage» et des femmes qui tressaillent sous le feu du plaisir.

«La claire fontaine». Verdier, 116 p.


Florian Eglin

Un factotum est un homme à tout faire. C’est exactement ce qu’est Solal Aronowicz, le héros de Cette malédiction qui ne tombe finalement pas si mal, premier roman énervé de Florian Eglin, 39 ans, spécialiste de littérature médiévale et professeur de français à Carouge. Factotum est aussi le titre du deuxième roman de Charles Bukowski: Solal lui doit beaucoup, tout comme à Des Esseintes, l’antihéros d’A rebours, de Huysmans, dandy décadent, personnage principal d’un roman où il ne se passe rien, et à Albert Cohen évidemment. Chez Florian Eglin, Solal, professeur raté, est salarié d’une école privée pour gosses de riches à Genève. Empli de haine pour le monde et ceux qui le peuplent, fort de sa devise «Rien ne se mérite, tout se prend», il collectionne les livres rares, chausse des Richelieu, se détruit au whisky et se bat régulièrement jusqu’au sang. Tel le dieu égyptien Osiris, il perd un œil, son foie, son cœur dans des circonstances autant fantastiques qu’hilarantes. Noir, trash, cru, esthétisant, ce roman amoral, pochade géniale issue d’un blog intitulé «Solal Aronowicz, le journal d’un con» tenu par l’auteur entre 2008 et 2012, est un fabuleux hommage à la folie des littératures symboliques et noires.

«Cette malédiction qui ne tombe finalement pas si mal». La Baconnière, 280 p.


Matthieu Mégevand

Le 13 mars 2012, à Sierre,
22 enfants meurent dans un accident d’autocar. Aucune cause, aucun coupable n’est identifié. Ni la vitesse, ni l’alcool, ni la route, ni les cars, ni les chauffeurs. Le monde, les autorités, en Suisse comme en Belgique, restent «sans voix» devant ce drame «indicible». C’est une tragédie «innommable» sur laquelle on ne peut rien dire parce qu’on ne sait rien. Matthieu Mégevand, 30 ans, philosophe et historien des religions, Genevois, auteur de deux livres de fiction parus à l’Age d’Homme, ne se résout pas à cette défaite de l’intellect et convoque maîtres et amis pour l’aider à mener à bien cette enquête insolite. Ni roman ni essai, Ce qu’il reste des mots est une promenade de la pensée subtile, très personnelle, triste et aussi, très paradoxalement, positive, jouissive et consolatrice. Le combat contre la chape de silence posée sur ces morts absurdes que mène ­Matthieu Mégevand est aussi le nôtre. Son désir, son besoin de dépasser la simple émotion pour en faire du sens, même en vain, même pour rien, est éminemment le bienvenu.

«Ce qu’il reste des mots». Fayard, 210 p.

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