Cinq cent cinquante-cinq romans français et étrangers sortent en librairie entre août en octobre, contre 646 l’an dernier à la même époque. Cette baisse de 14% confirme, pour la 3e année consécutive, une décrue de la production romanesque de l’automne. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle, les éditeurs privilégiant qualité à quantité et auteurs lâchés dans la jungle de la rentrée sans suffisamment d’attention.
Le nombre de premiers romans français repart par contre à la hausse: 86 contre 69 l’an dernier, signe de la capacité intacte des éditeurs à prendre des risques. Parmi les nouvelles voix dont on parle déjà: celles de Loïc Merle, qui imagine dans L’esprit de l’ivresse (Actes Sud) la révolution qui aurait pu naître des émeutes dans les banlieues françaises de 2005, de Laurent Obertone dont Utøya (Ring) se glisse dans le cerveau du tueur Anders Breivik, de Romain Puértolas qui raconte le combat des clandestins dans L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea (Le Dilettante), de Kevin Orr dont l’épatant Produit (Seuil) tient lieu de métaphore de toutes les addictions contemporaines, de Sandra Lucbert qui, avec Mobiles (Flammarion), lorgne du côté des Choses, de Pérec, en évoquant des trentenaires qui se demandent déjà si leur vie est réussie ou de Guillaume Staelens chez Viviane Hamy dont Itinéraire d’un poète apache lorgne du côté de chez Rimbaud. Sans oublier trois primoromanciers atypiques en les personnes de Laure Adler, déjà auteure de plusieurs livres mais dont Immortelles (Grasset) est le premier étiqueté roman, Laurent Ségalat, accusé de meurtre en Suisse et qui dénonce la marchandisation de la société dans La vie de Morgan (Michalon), et Marie Modiano, qui a fait un détour par la musique avant de suivre les pas de son père Patrick.
En tête des stars indétrônables que vous plébisciterez, Douglas Kennedy, Amélie Nothomb, Eric-Emmanuel Schmitt et Jean d’Ormesson. Derrière, un peloton de valeurs sûres composé de Tracy Chevalier, le Sud-Africain J. M. Coetzee, Alan Pauls, Chantal Thomas, Nancy Huston, Claudie Gallay, Marie Darrieussecq, Jean Rolin, Serge Bramly, Yasmina Khadra, Jean-Louis Fournier, Yann Moix, Dany Laferrière, Jean-Philippe Toussaint, ou Véronique Olmi, sans oublier le bataillon efficace des Américains Colum McCann, Louise Erdrich, les trois Richard (Ford, Russo et Powell), l’étoile montante Laura Kasischke, l’Allemande Charlotte Roche ou le Danois Jens Christian Grøndahl.
Les «goncourisables» et autres «feminisables», soit les auteurs dont la rumeur murmure que l’on pourrait les retrouver sur les listes de prix, se nomment Boris Razon, dont Palladium (Stock) est le récit saisissant d’un demi-coma dont il mettra sept ans à se remettre, Hélène Grémillon, Madame Julien Clerc au civil, dont le premier roman, Le confident, s’est vendu comme des petits pains en poche, et dont Flammarion attend de belles performances pour La garçonnière, Yasmina Khadra et Les anges meurent de nos blessures, peut-être son roman le plus important, la jolie Karine Tuil avec L’invention de nos vies, Jean-Philippe Toussaint pour Nue ou encore Tristan Garcia: son premier roman, La meilleure part des hommes, avait fait sensation et il livre avec Faber, le destructeur (Gallimard) un ambitieux roman générationnel ès trentenaires.
Dans Art nègre (Buchet), Bruno Tessarech raconte l’histoire d’un romancier en panne d’inspiration qui règle le problème en se mettant à écrire des biographies. Ce n’est peut-être pas un hasard si un nombre impressionnant de romans s’inspirent de la vie d’artistes ou de personnalités marquantes. La plupart du temps avec, heureusement, autant de talent que Patrick Deville l’an dernier dans Peste et choléra, qui suivait le destin du Vaudois Alexandre Yersin et valu le prix Femina à son auteur. On peut recommander les livres de Hugo Boris, qui convoque Danton, Hugo et Churchill dans Les grands fauves (Belfond), ceux du Lausannois d’adoption Davic Bosc dont La claire fontaine (Verdier) plonge dans la vie de Courbet, d’Alexis Salatko qui rend hommage à Django Reinhardt dans Folles de Django, de Salim Bachi qui raconte Camus dans Le dernier été d’un jeune homme, d’Héloïse Guay de Bellissen et son Roman de Boddah sur Kurt Cobain, de Jordi Soler qui suit les tribulations d’Antonin Artaud en Irlande dans Dis-leur qu’ils ne sont que cadavres (Belfond), de Philippe Jaenada qui s’intéresse au braqueur Bruno Sulak dans Sulak, d’Olivier Weber qui fait revivre le commandant Massoud dans La confession de Massoud ou de Sibylle Grimbert qui s’intéresse à Bernard Madoff à travers la voix de son fils dans Le fils de Sam Green.
La papattitude frappe plusieurs écrivains dont le frère de PPDA, Olivier Poivre d’Arvor, qui raconte dans Le jour où j’ai rencontré ma fille (Grasset) le tabou autour de la stérilité masculine et son combat pour adopter, un nouveau venu en littérature en la personne du journaliste romand Fred Valet avec Jusqu’ici tout va bien (BSN Press), une tendre chronique de l’arrivée d’un bébé dans sa vie, ou encore Jean-Louis Fournier avec un livre sur sa fille intitulé La servante du Seigneur (Stock).
Actes Sud attend autant de la correspondance annoncée entre Paul Auster et le Sud-Africain J. M. Coetzee que de l’événement qu’avait été la parution des conversations par courriel entre BHL et Houellebecq en 2008. Autres géants des lettres à s’écrire: Zola et Maupassant, dont les Editions La Part Commune publient une correspondance inédite écrite entre 1875 et 1890.
A l’instar de Joël Dicker l’an dernier, les écrivaines françaises partent à la conquête romanesque du Nouveau Monde: La grâce des brigands de Véronique Ovaldé se passe à Santa Monica, Il faut beaucoup aimer les hommes de Marie Darrieussecq à Hollywood, Faillir être flingué de Céline Minard au Far West, Les faibles et les forts de Judith Perrignon en Louisiane, La transcendante de Patricia Reznikov à Boston et Le fils de Sam Green de Sibylle Grimbert à Wall Street.
Attention romans cultes! Sont annoncés le texte original de Taxi Driver de Richard Elman, jamais traduit en français, une nouvelle édition de Vol au-dessus d’un nid de coucou de Ken Kesey préfacé par Chuck Palahniuk, 9 semaines 1/2 d’Elizabeth McNeill, la première version de Tropique du cancer de Henry Miller, intitulée Capricorne 1, ou encore des inédits de Rabindranath Tagore chez Zulma et de Tolkien chez Bourgois.
Si l’on cherche du sexe, on en trouvera du côté de Charlotte Roche, sans surprise, puisque l’auteure allemande de Zones humides se raconte en libertine dans Petites morts, chez Richard Millet, de Serge Bramly, dont le héros d’Arrête, arrête se réfugie dans une boîte échangiste, de La Musardine qui publie Pornstar, d’Anthony Sitruk, ou l’histoire d’une ancienne vedette du cinéma porno, d’Eva Almassy dont l’héroïne se confronte à ses fantasmes dans L’accomplissement de l’amour et d’Eric-Emmanuel Schmitt qui publie avec Les perroquets de la place d’Arezzo une ode aux désirs sensuels et amoureux.
Le livre qui promet de faire débat est la patate chaude estivale: Toute la noirceur du monde de Pierre Mérot, viré des programmes Gallimard en même temps que l’éditeur Richard Millet ce printemps, a été également déprogrammé de la rentrée Stock par le nouveau patron Manuel Carcassonne, qui l’avait auparavant refusé chez Grasset. C’est finalement Flammarion qui publie le 18 septembre le portrait sulfureux de ce prof qui bascule dans les délires racistes de l’extrême droite.
La rentrée des écrivains suisses s’annonce riche et pleine de surprises: derrière les poids lourds que sont Pascal Mercier, Metin Arditi ou Frédéric Pajak, se profilent quelques valeurs sûres – Michel Layaz, Marie-Claire Dewarrat, Alain Claude Sulzer –, des auteurs en train de poser les fondations de leur œuvre de belle manière – Quentin Mouron, Anne-Frédérique Rochat, Antonio Albanese – et deux romans générationnels brûlants, Ils sont tous morts d’Antoine Jacquier et Cette malédiction qui ne tombe finalement pas si mal de Florian Eglin.
Deux centenaires colorent la rentrée via de multiples parutions: celui de la naissance de Camus et celui de la parution de Du côté de chez Swann, le premier volume de La recherche du temps perdu, refusé par Gallimard et publié chez Grasset avant que Gaston Gallimard ne répare sa bévue et devienne l’éditeur attitré de Marcel Proust.