Qu’est-ce qu’un bon écrivain? Le nouveau roman de Justine Lévy, que l’on referme aussi ému qu’étonné d’être ému, pose la question de manière insistante. Est généralement qualifiée d’écrivain une personne avec suffisamment d’imagination pour raconter des histoires et de style pour rendre ces histoires intéressantes. La romancière française de 40 ans est clairement dans l’autofiction, usant de sa vie – l’enfance, les blessures, le père, la mère – comme d’un matériau vivant et malléable. Et, en matière de style, son écriture à fleur de peau, relâchée, lâchée comme on lâche un jeune poulain dans un pré au printemps, haletante et rebondissante, faite de longues phrases cherchant désespérément à se poser, tient moins de la petite musique que de la fanfare impétueuse.
Et pourtant, Justine Lévy est un écrivain, et confirme dans ce quatrième roman, intitulé La gaieté, qu’elle en est un bon. Trois raisons à cela: Justine a beau être la fille du philosophe BHL et avoir raconté dans ses précédents romans, dont Rien de grave, des histoires propres à passionner les gazettes people concernant son précédent mari Raphaël Enthoven, que lui pique Carla Bruni, ses livres valent beaucoup mieux que l’intérêt voyeuriste qu’ils ont suscité. Au point même que le genre de l’autofiction semble avoir été inventé pour elle: s’il y a un alter ego féminin de Serge Doubrovsky aujourd’hui en France, c’est elle.
Et puis, quelle cohérence d’écrivain! Son sillon d’artiste, elle le tient, le laboure, fidèle et opiniâtre: Rendez-vous (1995) racontait une fille qui attend sa mère et déroulait le fil de son enfance cabossée. Rien de grave (2004) revenait sur la peine d’une jeune femme que son mari quitte pour une autre. Mauvaise fille (2009) mettait en parallèle la maladie et la mort de sa mère avec sa propre grossesse, ironiquement concomitantes. Enfin, quelle maestria dans sa manière d’aborder les thématiques ô combien visitées que sont les relations mère-fille, le couple et les blessures d’enfance, quelle volonté de les prendre à bras-le-corps, de tout embrasser au risque de mal étreindre, quelle fougue littéraire!
La gaieté raconte comment, du jour où elle a su qu’elle attendait son premier enfant, la narratrice décide d’arrêter d’être triste, «définitivement» et par tous les moyens. On a rarement aussi bien dit à quel point enfanter vous met face à votre propre enfance. Louis-Justine déroule un récit poignant où se succèdent une mère qui a renoncé à être mère, des belles-mères humiliantes, un père aimant mais toujours au bout du monde, et enfin une fille qui se construit sur cet humus douloureux et essaie de transmettre à ses propres bébés la tendresse dont elle ne se souvient pas. Aujourd’hui mariée au comédien Patrick Mille, alias Pablo dans La gaieté et dans Rien de grave, père de ses deux enfants nés en 2004 et 2009, Justine est devenue une guerrière.
«La gaieté». De Justine Lévy. Stock, 210 p.