Coup de foudre. Elle a interprété le générique d’un film de James Bond, «Skyfall», a déjà vendu plus de 25 millions d’albums en deux enregistrements: la Londonienne fera l’événement en 2015.
«Une nouvelle reine pour l’Angleterre.» C’est ainsi, en mars 2008, que je titrais une petite chronique consacrée au premier album d’une certaine Adele, sorti quelques semaines plus tôt. Le disque s’intitulait sobrement 19, soit l’âge de la chanteuse au moment de son enregistrement. Il traînait sur une pile de nouveautés et un beau matin, je ne sais plus trop pourquoi, je me suis décidé à l’écouter. Et, là, c’est le choc. Le titre d’ouverture, Daydreamer, semble avoir été composé par le grand Burt Bacharach. Et il y a cette voix, fière et assurée, volontiers frondeuse mais qui en même temps ruisselle d’émotion.
Après un deuxième morceau tout aussi dépouillé mais porté par une basse plus groovy, Chasing Pavements me file la chair de poule avec son refrain beau à pleurer, ses cordes incandescentes et son lyrisme à la mélancolie diffuse. Les arrangements d’Adele ont l’évidence des mélodies éternelles. «A l’heure où Amy Winehouse semble chaque jour s’enfoncer un peu plus, elle réconcilie en deux accords (elle est également guitariste) et un couplet les amateurs de soul et de folk.» Voilà pour la conclusion de ma chronique, dans laquelle je soulignais le triomphe annoncé de l’Anglaise sur ses terres, à en croire les premiers résultats de 19 dans les hit-parades. C’est ainsi non sans une certaine appréhension que je glissais, trois ans plus tard, son deuxième effort, 21, dans mon lecteur.
Des pépites et quelques scies
Son premier album en avait fait une révélation, le deuxième devait être celui de la consécration. Ce qu’il sera au-delà des espérances: vendu à quelque 25 millions d’exemplaires à travers le monde, à une époque où le téléchargement pas toujours légal règne en maître, 21 réussit un véritable exploit en intégrant le top 20 des disques les plus vendus de l’histoire. Il faut dire qu’avec une triplette de singles comme Rolling in the Deep, Set Fire to the Rain et Someone Like You, Adele n’a laissé aucune chance au hasard. Nouvelle chronique et nouvel éloge: «La Londonienne revient avec un album proposant quelques pépites soul au son très seventies et à l’imparable groove mid-tempo.»
Mais cette fois, et je n’ai aucune honte à l’avouer, je souligne que «malheureusement, il faut entre deux se farcir quelques scies sirupeuses pas très digestes». Disons qu’à trop vouloir enregistrer l’album définitif, Adele a parfois trop misé sur des effets faciles: franchement, Turning Tables, avec son piano neurasthénique, est un morceau passablement insupportable comparé au formidablement chaloupé Rumour Has It qui le précède.
Dix grammy awards
A l’heure où on la dit agonisante, l’industrie musicale voit en Adele la preuve que l’on peut à la fois faire de la bonne musique et vendre beaucoup de disques. Car, malgré quelques titres plus faibles, 21 est bel et bien un très bon disque. Si l’Anglaise déchaîne les passions, c’est aussi parce qu’elle se montre authentique. Elle n’a pas été révélée par une émission de téléréalité mais est diplômée d’une école d’art, ses chansons ne sont pas formatées. Elle les compose elle-même. Et il y a dans sa voix une sincérité, une fêlure aussi, parfois, qui ne trompent pas. A l’heure des bimbos interchangeables, on a l’impression de découvrir une artiste «vraie». C’est un sacré atout.
La liste des prix reçus par la chanteuse, parmi lesquels dix Grammy Awards et un oscar pour Skyfall, sans conteste l’un des cinq meilleurs morceaux jamais enregistrés pour un générique de James Bond, donne le vertige. Où s’arrêtera-t-elle, se demande-t-on quand, en juin 2013, la reine lui accorde l’Ordre de l’Empire britannique, que le prince Charles lui remet quelques mois plus tard? Il n’en faut pas plus pour que son troisième album devienne l’un des plus attendus et commentés de l’histoire de la musique british.
Bye-bye 25
Ce troisième effort, Adele l’évoque pour la première fois en avril 2012, en soulignant qu’il ne verra pas le jour avant deux ans. Puis, en février 2013, elle annonce s’être enfin mise au travail. Les rumeurs vont dès lors bon train, avant que, le 4 mai dernier, soit la veille de son 26e anniversaire, la jeune femme ne lâche un indice sur Twitter: «Bye bye 25… See you again later in the year.» Pour ses fans, il ne fait dès lors aucun doute que son nouvel album s’intitulera 25 et qu’il sortira avant Noël.
Depuis, plus rien. On peut ainsi imaginer qu’Adele fera comme U2 il y a quelques semaines, la gratuité en moins: un beau matin, au moment d’allumer notre ordinateur, on apprendra que son nouveau disque est là, tout chaud, et qu’un clic suffit à l’importer dans notre discothèque numérique tandis que plusieurs éditions physiques, dont un coffret deluxe et un vinyle, seront disponibles pour ceux qui croient encore au disque en tant qu’objet. Son label, XL Recordings, vient d’ailleurs de confirmer une sortie pour 2015.
Ce succès qui paralyse
Dans un premier temps, la Londonienne a lâché qu’elle collaborerait de nouveau avec Paul Epworth, l’un des producteurs de 21. La presse anglaise, peu revêche lorsqu’il s’agit de mettre en avant des ouï-dire, a ensuite parlé de possibles collaborations avec William Orbit et Ryan Tedder (OneRepublic). Phil Collins a quant à lui été approché par la musicienne, avant que celle-ci, à en croire l’ex-Genesis, ne l’envoie promener. Il y a peu, c’est le prolifique Damon Albarn, devenu au fil de ses projets (Blur, Gorillaz, Mali Music, The Good, the Bad and the Queen, Rocket Juice & the Moon) un des musiciens et producteurs les plus passionnants et influents de la pop anglaise, qui aurait été aperçu en compagnie de la jeune mère – son fils Angelo a 2 ans.
Mais tout cela n’est que spéculations. On peut néanmoins s’inquiéter de cette attente prolongée: Adele n’est-elle pas paralysée par son succès? On connaît plus d’un artiste qui, ne supportant pas la pression, n’a jamais réussi à enregistrer un nouveau disque.
Une femme de goût
Personne ne vendra autant d’albums que Michael Jackson, dont Thriller détient le record absolu avec 65 millions de copies écoulées depuis 1982. Mais, en 2015, personne ne devrait vendre autant de disques qu’Adele… si disque il y a. Finissons par une affirmation à ne pas mettre au conditionnel: la chanteuse est une femme de goût. Refuser de travailler avec Phil Collins (qui n’a depuis belle lurette plus d’inspiration) et se faire épauler par Damon Albarn sont des signes qui ne trompent pas.