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Hollywood dans la tourmente

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Mercredi, 24 Décembre, 2014 - 05:56

Eclairage. Pour enrayer la crise, les grands studios misent sur des films très chers, qui sont le plus souvent des suites balisées. Une politique de fuite en avant qui peut se révéler dangereuse.

En novembre 2015, James Bond repartira à l’assaut du box-office dans un film, Spectre, réalisé par Sam Mendes, déjà auteur en 2012 de Skyfall, soit le titre le plus lucratif de la franchise. Même s’il a coûté 200 millions de dollars, ce qui le place parmi les 50 films les plus chers de l’histoire du cinéma, Skyfall a en effet dépassé à travers le monde le milliard de dollars de recettes. Plus d’un producteur s’est dès lors posé cette question: y aurait-il un rapport de causalité entre la somme investie et les bénéfices générés? Une question relancée il y a quelques mois par le triomphe, sans précédent pour un film d’animation, de La reine des neiges, qui lui aussi a franchi la barre symbolique du milliard de dollars de recettes, pour un investissement de 150 millions. Toujours en exploitation dans certains pays, cette adaptation d’Andersen est à l’heure actuelle le cinquième plus gros succès de l’histoire du cinéma.

Ces deux exemples, auxquels on peut ajouter les succès colossaux de The Avengers en 2012 et Transformers 3 en 2013, cachent une réalité autrement plus sombre: l’industrie hollywoodienne va mal car, paradoxalement, ces blockbusters aux budgets démesurés qui cartonnent prouvent que le cinéma dominant ne sait plus trop quoi faire pour enrayer la crise à l’heure où, d’une manière générale, tant les spectateurs que les bénéfices sont en recul. En juin 2013, lors d’une conférence donnée dans une université californienne, Steven Spielberg et George Lucas pointaient du doigt cette tendance des studios à tout miser sur des films excessivement chers. Selon eux, l’industrie américaine se dirige vers une inévitable implosion.

Un été pourri

Les deux réalisateurs et producteurs ont-ils vu juste? Même s’il est encore difficile de le dire avec certitude, le box-office semble leur donner en partie raison. L’été 2014, soit la saison durant laquelle sortent la plupart des blockbusters, a aux Etats-Unis été catastrophique, avec une baisse de 15% des recettes. Tant Sin City 2 que The Expendables 3, Sex Tape, Dragons 2 et Edge of Tomorrow n’ont pas été à la hauteur des attentes. La mèche a été allumée, et c’est tout Hollywood qui s’apprête à se désagréger, prédisent ceux qui partagent la vision de Spielberg et Lucas. D’autant plus qu’à ces flops s’ajoutent ceux, l’année dernière, de grosses machines comme Pacific Rim, After Earth et White House Down.

Les douze prochains mois pourraient donc se révéler cruciaux. Si plusieurs grosses productions perdent de l’argent, certains studios pourraient y laisser des plumes. Dans cette catégorie des longs métrages à plus de 150 millions, trois poids lourds dont le succès semble acquis vont s’affronter: le précité Spectre, le septième épisode de la mythique saga Star Wars et The Avengers 2. Mais, même s’ils vont mobiliser une bonne partie de l’attention médiatique, ce ne sont pas ces trois films qui vont cristalliser les enjeux économiques, mais des productions coûteuses dont il est impossible de savoir l’accueil qui leur sera réservé. Plus de vingt ans après le Jurassic Park de Spielberg, Jurassic World va voir le zoo à dinosaures rêvé par John Hammond enfin accueillir ses premiers visiteurs. On remonte plus loin encore avec un Mad Max 4 et un Terminator 5, qui sortiront respectivement trente-six et trente et un ans après les titres originels de ces deux sagas cultes.

Cette propension à tout miser sur des suites (on aura aussi droit à Mission: Impossible 5, Fast and Furious 7, Labyrinthe 2 et Hunger Games 3 partie  2), voire des remakes ou des réinterprétations (retour de Point Break, Frankenstein, Cendrillon et Vendredi 13, en marge de la dizaine de films de superhéros mis en chantier par Marvel et DC Comics), s’explique facilement: les plus grosses désillusions qu’ont récemment connues les majors hollywoodiennes sont liées à des films originaux. Si le spectateur préfère donc une suite à une nouveauté, donnons-lui une suite. Ces titres sont en outre plus faciles à vendre, les plans marketing qui les accompagnent pouvant s’appuyer sur des connaissances qu’ont déjà les spectateurs.

A l’autre bout de l’échelle, le cinéma indépendant, que le Festival de Sundance a fortement contribué à relancer, avec les effets négatifs que cela implique, comme un formatage de certains films pseudo-branchés, se porte bien. Même si, à l’image de son cousin européen, il peine à trouver le chemin des salles. En Suisse, c’est par exemple au Festival du film de Locarno que, chaque année, on peut découvrir des longs métrages américains autrement plus enthousiasmants que ceux bénéficiant d’une distribution officielle.

Un film au lieu de quatre

Situation plus préoccupante, en revanche, celle des productions qui ne sont ni indépendantes et peu coûteuses, ni d’onéreux blockbusters. L’effet collatéral de la propension qu’a Hollywood à jouer la carte de la démesure est désolant: pour un film à 200 millions, ce sont quatre projets à 50 millions qui passent à la trappe ou peinent à se monter. Spielberg en a lui-même fait l’expérience il y a deux ans avec Lincoln (65 millions), qu’il a eu de la peine à financer et à distribuer. Si, en Europe, son nom reste pour beaucoup, à tort, synonyme de cinéma commercial, son biopic du seizième président américain était aux Etats-Unis considéré comme une œuvre d’art et d’essai, donc pas adéquate pour les multiplexes.

Le réalisateur craint ainsi de voir un certain cinéma se marginaliser, avec l’obligation de trouver d’autres canaux de diffusion, comme des réseaux de salles n’appartenant pas à de grands groupes et les plates-formes de vidéo à la demande. Lucas estime de son côté que les exploitants de demain miseront tout sur des écrans gigantesques, de type Imax, et de puissantes installations sonores destinées aux seuls blockbusters. Il a peut-être raison, mais oublie que, si cela se produit, les petites salles se trouvant à l’autre bout du spectre pourraient, à l’image du cinéma indépendant, trouver là une occasion de se renforcer.

Toujours est-il que, pour l’heure, des cinéastes comme Martin Scorsese ou Brian De Palma ont rencontré des difficultés à financer certains de leurs films, tandis que John Landis ou John McTiernan se sont résolus à ne plus tourner. Spike Lee, quant à lui, a décidé d’opter pour un système de financement participatif. Le cinéma dit d’auteur fait peur aux investisseurs, ce que n’arrange pas la politique du blockbuster.

Hollywood est en train de stigmatiser ceux qui ont fait la réussite d’un modèle qui, entre les années 30 et 60, a été envié un peu partout à travers le monde. On peut dès lors se demander si l’implosion promise par Spielberg et Lucas ne serait pas dans le fond une bonne chose. En effet, si les grosses productions annoncées pour 2015 se plantent, les studios vont peut-être se tourner vers des projets moins chers, donc potentiellement plus personnels et plus surprenants. On veut y croire…

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